L’Homme de Lewis – Peter May

Après mon coup de coeur pour L’ile des chasseurs d’oiseaux, j’ai laissé passer un peu de temps avant de m’attaquer à la suite de la trilogie écossaise de Peter May : L’Homme de Lewis. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est à nouveau un coup de maître !

« Je rêve encore, parfois, de ma colère. De ma colère devenue vengeance. D’une colère née du deuil et de la culpabilité. Je me souviens de cette colère. De la manière dont elle m’a dévoré de l’intérieur, consumant mon humanité. »

Quelques mois après les événements survenus dans le premier tome, Fin McLeod a quitté la police, divorcé, et est revenu sur l’île de son enfance : Lewis. Il apprend à son arrivée qu’un corps a été découvert : celui d’un jeune homme, momifié et préservé par la tourbe. Contrairement à ce que les experts ont pu d’abord penser, le cadavre est relativement récent puisqu’on trouve sur son bras un tatouage d’Elvis Presley. Les prélèvements ADN viendront par la suite établir qu’il s’agit d’un parent de Tormod McDonald, le père de Marsaili, l’amour d’enfance de Fin. Il n’en faut pas davantage à l’ancien inspecteur pour s’intéresser à l’affaire et tenter de découvrir l’identité de l’homme des tourbières. Son travail d’enquête va se révéler compliqué par la sénilité de Tormod, atteint de la maladie d’Alzheimer.

« Les étoiles brillaient, semblables à des trous d’aiguille dans le drap noir du ciel laissant passer une lumière imaginaire qui se serait trouvée derrière et se refléterait dans le givre scintillant à la surface du bitume. Le reflet du paradis sur la terre. Ou le reflet de l’enfer dans les cieux. »

La nature écossaise est un peu moins présente que dans L’île des chasseurs d’oiseaux, Peter May ayant préféré cette fois dévoiler un pan obscur et méconnu de l’histoire écossaise : le sort des « homers« , ces enfants, orphelins et catholiques, que l’on plaçait dans des familles plus ou moins bienveillantes des îles Hébrides. Rebaptisés, malmenés, déportés, ils étaient bien souvent réduits en esclavage par des fermiers en manque de main d’oeuvre. J’ai trouvé passionnant l’incorporation de la tragédie écossaise au sein d’une tragédie familiale. Les pages défilent et on ne sait pas où l’enquête va nous porter, à mesure que notre coeur se serre en lisant les ravages terribles de cette pratique religieuse et politique sur des générations d’enfants. La construction du roman sert d’ailleurs l’émotion, puisqu’il alterne entre la lente progression de Fin, et le récit à la première personne de Tormod lui-même, perdu dans les brumes de sa mémoire. Reconnaissant à peine les visages qui l’entourent, le vieil homme retrouve des fragments de souvenirs de son enfance, et c’est en sa compagnie qu’on comprend le sort qui lui a été réservé par les institutions chargées de le protéger.

« Apparemment nous n’avions aucun droit, humain ou autre. Nous étions des biens, des meubles. Rien que des enfants sans parents ni foyer. On pourrait penser que nous nous y étions habitués, à force. Mais on ne s’habitue pas à cela. Il suffit de regarder autour de soi, et la vie se charge de vous rappeler que vous n’êtes pas comme les autres. »

Le roman se lit dans un souffle, déroulant sous nos yeux les paysages les plus sauvages d’Écosse, tissant lentement le mystère qui se cache derrière l’étrange homme de Lewis, et livrant au lecteur le coeur de ces hommes à l’innocence perdue. Je suis fascinée par l’écriture ensorcelante de Peter May, ainsi que par son talent à assurer une même ambiance dans ce second roman, à retrouver les mêmes personnages torturés et bouleversants qui m’avaient déjà tant émue dans le premier opus, tout en se réinventant totalement avec une intrigue aussi terrible que passionnante.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Actes Sud, traduit par Jean-René Dastugue, janvier 2013, 384 pages

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