
« Considérez qu’à mes yeux il est une provocation vivante, que sa dureté de coeur a porté chez moi la ruine et la mort, qu’il a détruit notre antique maison, qu’il a tué par le chagrin mon père, objet de ma tendresse. Pardieu ! aux jours d’autrefois, dans notre Écosse, un homme capable de vivre tranquille après de telles injustices n’eût été jugé digne ni de seconder un ami dans une rencontre, ni de se mesurer à un ennemi ! »
Alors que l’avenir de l’Écosse est sur le point de basculer, il est question dans ce roman de vengeance, d’honneur, de noblesse, et d’amour. Celui qui lia bien malgré eux le jeune maître de Ravenswood, héritier déchu d’une illustre famille écossaise, et la douce Lucie Ashton. Deux êtres que tout oppose, puisque leurs familles sont ennemies jurées ; Sir William Ashton, garde des Sceaux d’Écosse, ayant par des moyens plus ou moins légaux et honnêtes, dépossédé Lord Ravenswood de ses biens et de son château ancestral. Les tentatives de faire valoir ses droits en justice précipiteront le Lord dans la tombe, au bord de laquelle son fils, Edgar Ravenswood, dévasté par le chagrin, fit le serment de venger son nom. L’occasion arrive enfin mais au lieu de pourfendre l’usurpateur, il lui sauve inopinément la vie ainsi que celle de sa fille, dont il tombe amoureux. Sir William Ashton, pleutre et parvenu, n’ayant en tête que ses velléités politiques et déterminé à s’arroger par l’argent ce qu’il revenait de droit et de sang aux grandes familles d’Écosse, est décidé à encourager le jeune homme dans ses desseins amoureux, pourvu que sa colère et sa méfiance s’estompent. C’était sans compter sur sa femme, la tyrannique lady Ashton, qui préfère de loin sacrifier le bonheur de sa fille à la progression de son mari dans la haute société écossaise ; mais aussi sur un parent d’Edgar, qui cherche à réhabiliter le nom de cette digne et appréciée famille d’Écosse, en obtenant par tous les moyens possibles la reddition de la famille Ashton.
« Il est donc écrit que tout être vivant, et ceux qui devraient m’être le plus chers, me fuiront, m’abandonneront à qui m’obsède. Mais ce n’est que justice. Seule et sans le conseil de personne, je me suis jetée dans mes périls actuels ; seule et sans le conseil de personne, il faut que je m’en tire ou que je meure. »
Ce roman historique d’une grande richesse a la beauté tragique des plus vieilles légendes d’Écosse, et il est magnifiquement servi par une plume délicate et fort évocatrice. On y sent par ailleurs l’influence du Romeo et Juliette de Shakespeare, et j’ai trouvé également qu’il préfigurait un peu ce que seront Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë. Hormis les quelques digressions comiques dues au fidèle et empressé domestique du maitre de Ravenswood, qui viennent alléger la noirceur du récit, nous comprenons très vite, dès les promesses de vengeance proférées par le jeune Ravenswood, que la tragédie n’est pas loin. Amour et vengeance font rarement bon ménage, et le maître de Ravenswood se repentira de ne pas avoir davantage prêté attention aux prophéties.
« Savez-vous ce que j’ai sacrifié pour vous ? L’honneur d’une vieille famille, les avis pressants de mes meilleurs amis, rien n’a fléchi ma résolution. Ni les arguments de la raison, ni les présages de la superstition n’ont ébranlé ma fidélité. Les morts mêmes, pour m’avertir, sont sortis de leur tombe, mais j’ai dédaigné leur avertissement. Êtes-vous prête à me punir de mes constances en me perçant le coeur de l’arme que mon imprudence vous avait confiée ? »
Walter Scott est incontestablement un excellent conteur, mais sans doute pas toujours un fin psychologue, et si j’ai un reproche à faire à ce roman c’est sans doute un certain manque de profondeur chez les personnages, et en particulier Lucie et Edgar chez qui j’aurais aimé voir davantage de nuances et dont la relation est un peu trop rapidement esquissée. Cette réserve mise à part, j’ai beaucoup aimé cette première incursion dans l’oeuvre du grand auteur écossais, qui nous plonge dans une page passionnante de l’histoire politique, religieuse et clanique de l’Écosse. Une histoire d’amour et de haine au coeur du décor sauvage des Highlands résonnant encore des échos de galops impétueux, et où superstitions et sorcières conservent tout leur pouvoir.
Ma note (4,5 / 5)
Éditions de l’Archipel, traduit par Louis Labat, mai 2018, 390 pages