Le Tram de Noël – Giosué Calaciura

Parfois un livre est une rencontre, le joli fruit d’un hasard. En flânant dans une librairie, mon oeil a été intrigué par cette couverture, sobre et poétique. Puis en le feuilletant, ma curiosité a été attisée par la structure originale des chapitres, par ces dessins un peu flous représentant des anonymes, et par un point de départ digne d’un conte : un tram lancé dans la nuit de Noël… Choisi sur une impulsion, le livre s’est révélé être un véritable bijou.

« Ils étaient nombreux, ceux qui cherchaient le sommeil, à regarder la rue et les rails derrière les vitres de leurs logements, dans l’attente d’un présage, d’un miracle en cette nuit d’hiver. »

Tout de suite, j’ai été séduite par le style de l’auteur, sa façon de raconter sans fard mais avec une grande poésie. On sent bien l’hommage à Dickens et à ses contes de Noël, cet attachement à dénoncer la cruauté, l’injustice, les inégalités sociales au moyen d’une histoire à raconter au coin du feu. Il ne s’agit pourtant pas ici de faire la morale à grands renforts de fantômes à un Ebenezer Scrooge, vieux gripsou égoïste et radin. Les personnages qui se pressent dans ce wagon au coeur de la nuit ont depuis longtemps abandonné l’illusion de susciter la générosité et l’humanité de leurs contemporains. Alors que la ville est en effervescence, parcourue par les pas pressés de ceux qui s’apprêtent à célébrer Noël dans la chaleur et la profusion d’un foyer, ils sont assaillis par leurs souvenirs de temps plus heureux, et désemparés par les désillusions d’une Europe dorée qui ne remplit pas ses promesses.

« Tous ils le contemplèrent dans la plénitude de son petit corps, imaginant déjà comment il deviendrait quand il serait un jeune garçon, puis un adulte, quels miracles il accomplirait dans les quartiers oubliés de la banlieue, combien d’êtres seraient rachetés et sauvés, combien punis et chassés ; et aussi comment ils pouvaient, eux, le soustraire au projet de martyre qui s’était probablement déjà mis en branle. »

Ce sont tous des laissés pour compte, de ceux qui évoluent dans l’indifférence du monde, trainant leur misère et leurs humiliations. Il y a cette jeune fille affamée, troquant son corps contre un repas chaud en compagnie d’un veuf esseulé et honteux ; ce vieux vendeur ambulant, qui marche toute la journée dans des chaussures trop petites en espérant vendre un ou deux parapluies ; ce domestique tremblant devant les exigences de sa patronne qui lui ont fait perdre jusqu’à son identité ; cet adolescent abandonné de tous dont la seule compagnie d’un petit lapin blanc permet de lui faire supporter la rue ; ou encore ce magicien atteint d’Alzheimer, qui compte les arrêts pour se rappeler de descendre. Un dénuement et un isolement magnifiés par les illustrations de Gérard DuBois qui viennent ponctuer la lecture. Pourtant l’espoir va se profiler en cette nuit de Noël triste et froide, incarné par un nouveau-né abandonné sous un siège dans ce tramway obscur qui quitte la ville pour sa morne périphérie. Un par un les voyageurs entrent et vont s’approcher timidement, déconcertés devant ce symbole d’une innocence si prématurément perdue. Silencieux, l’entourant de leurs regards et de leur protection, rapprochant leurs solitudes, ils ne sont pas sans rappeler une autre crèche, un autre nouveau-né porteur d’espoir et de rédemption.

« Ils se sentaient associés à l’évidente sainteté de ce nouveau-né abandonné dans un tram en forme de grotte, témoins improvisés et fortuits de cette énième Naissance qui, une fois encore, annonçait des béatitudes pour les derniers et les plus pauvres parce que le royaume des cieux leur appartient. »

On lit cette fable des temps modernes le coeur gros de tristesse et de tendresse, les yeux embués jusqu’à une fin aussi belle que surprenante.  Bouleversant, tragique, magique, inoubliable… à lire et à offrir !

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

Éditions Notabilia, traduit par Lise Chapuis, 22 octobre 2020, 112 pages

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