
« Il y a tant d’anges en mouvement à cette époque qu’il vaut mieux laisser tranquilles les fées et les démons qui, par jalousie ou vengeance, sont prêts à tout pour prouver leur puissance. »
L’Arche, c’est cette petite ferme isolée sur une ile anglo-normande, la ferme de Bon-Repos, où sifflent les vents marins et résonnent les cloches de détresse des bateaux en perdition. Dans cette charmante chaumière vit une famille attachante. André est devenu fermier en se rebellant contre un père autoritaire, le très respecté médecin de Saint-Pierre, qui souhaitait le voir prendre sa suite après la défection du fils aîné. Il a épousé dans sa jeunesse Rachel, une femme belle et digne, qui mène son entourage d’une main de fer. Viennent ensuite leurs cinq enfants : Michelle, dont l’intelligence l’isole bien trop souvent de la chaleur des siens ; Péronelle, sosie de sa mère, vive et déterminée ; Jacqueline, perpétuellement malheureuse et déprimée ; Colin, unique garçon de la fratrie, avide de liberté et d’expéditions maritimes ; et enfin Colette, cinq ans, dont on nous répète ad nauseam qu’elle est bien trop grosse…
« Cette irruption soudaine du bonheur dans son existence le surprenait autant que cette belle journée au milieu de l’hiver. C’était comme si des oeillets roses avaient fleuri tout à coup dans la neige. »
En cet été 1888, André se lamente. Tout l’argent provenant de la dot de sa femme est presque écoulé, et il ne voit qu’une solution pour assurer l’avenir de sa famille : quitter la ferme définitivement. Une résolution à laquelle Rachel est incapable de se résoudre, refusant d’être arrachée à cette terre sauvage et imprégnée de chaque bonheur et malheur ayant émaillé la vie familiale. Elle a alors une vision : le salut viendra d’un étranger échevelé au visage barré d’une cicatrice. Lorsqu’un naufrage a lieu dans la nuit et qu’un rescapé hagard est ramené au port, elle est alors persuadée qu’il faut l’accueillir à Bon-Repos. Ranulph Mabier, revêche, distant et amer, va alors prendre une place de plus en plus importante dans le quotidien de cette petite famille, et apporter une lueur d’espoir inespérée.
« Nos destinées sont mêlées de si singulière façon qu’un être, en servant simplement de lien entre une âme et une autre, peut altérer tout le cours d’une existence. »
Voilà comment s’ouvre le premier roman écrit par Elizabeth Goudge, qui m’avait charmée il y a quelques mois avec Le Pays du Dauphin-Vert. L’intrigue est ici résolument différente, et le récit suit les petits et grands événements de la famille du Frocq, tout au long d’une année, au gré de conflits fraternels d’une violence rare et des inquiétudes domestiques de Rachel. Mes impressions sont également bien différentes, ce roman m’ayant plongée dans des abysses d’ennui. C’est pétri de bons sentiments, assez candide, et l’histoire m’a paru beaucoup trop simple, voire simpliste, et donc globalement insipide. On est très loin de la complexité psychologique des personnages du Pays du Dauphin-Vert. L’Arche dans la tempête déroule une longue dissertation sur la douceur de vivre dans la nature, les écueils lorsque l’on contrarie sa personnalité, ou encore l’importance de l’harmonie familiale. Il parait très clair à la lecture de ce roman qu’il s’agit d’un écrit de jeunesse d’une jeune fille somme toute assez ignorante des complexités de l’âme humaine. Les discours religieux et philosophiques faisant l’apologie de la morale et de la vertu sont incorporés tels quels dans le récit d’un quotidien sans grand relief, ce qui les rend assez artificiels et dessert l’émotion. La plume est en revanche bien tournée, en particulier dans les descriptions de la nature environnante, qui sont souvent à couper le souffle de beauté.
« La nature sentait peut-être l’approche de la lassitude et l’éloignement du printemps; mais avant d’être vaincue par les tempêtes de l’hiver, elle était résolue à étaler aux yeux des hommes une beauté encore éclatante. S’il ne leur était plus permis de se réjouir du bleu pâle et de l’or clair de sa jeunesse, ils pouvaient du moins baisser respectueusement les yeux devant la pourpre royale de sa maturité. »
Une petite pointe de déception donc pour cette lecture pour laquelle je me réjouissais pourtant, en souvenir de mon coup de coeur passé. Mais je ne désespère pas de renouer avec la plume et la finesse d’esprit d’Elizabeth Goudge avec La Colline aux gentianes !
Ma note (2,5 / 5)
Éditions Libretto, traduit par Madeleine T. Guerites, 13 avril 2017, 384 pages