Vues sur la mer – Hélène Gaudy

« – Vous voulez une chambre avec vue sur la mer ?
C’est ça, qu’il lui dirait. Un réceptionniste un peu distrait qui la regarderait à peine, la conduirait à sa chambre, une chambre avec vue sur la mer, un espace clos aux quatre murs bien solides et bien durs que ne pourraient traverser les bruits du dehors. »

Que de finesse et de sensibilité dans ce petit roman ! J’étais très intriguée par l’histoire que promettait la quatrième de couverture, et cette lecture a achevé de me charmer tout du long.

Une femme, Jeanne, décide de se réfugier à l’hôtel. On ne sait pas véritablement ce qu’elle fuit, ni pourquoi, simplement qu’elle éprouvait le besoin de partir, trouver la solitude, la paix, l’isolement. De sa vie on ne saura que peu de choses également, tout au plus sème-t-elle ici et là quelques fragments de son quotidien avec un certain Adrien. Elle se souvient de leur rencontre, de son odeur, du quotidien, de scènes tout ce qu’il y a de plus banal de la vie de couple. Et pourtant, malgré cette immense tristesse que l’on sent chez elle à l’idée d’être loin de lui, elle rêvait de s’échapper. Juste un petit hôtel, et une chambre avec vue sur la mer.

« Mais il fallait quand même partir. Se dire qu’on l’a fait, qu’on a essayé et qu’on peut maintenant reprendre le cours de sa vie. Qu’on a intérêt à s’y accrocher parce qu’on sait qu’il n’existe plus vraiment d’échappatoire. Qu’on l’a déjà épuisée. »

Sept fois, Jeanne entrera dans un hôtel pour demander une chambre avec vue sur la mer. Sept fois la romancière déploiera des trésors d’imagination et changera les plus infimes détails, donnant au récit, comme l’évoque la présentation de l’éditeur, une réelle impression de kaléidoscope. Est-on vraiment au bord de la mer ? Ne se trouve-t-elle pas plutôt au coeur d’une forêt, ou en pleine campagne ? Et que dire de tous ces personnages qu’elle frôle lors de ces séjours… Ce sont les mêmes, et pourtant il y a de minuscules différences, des subtilités. Peu importe au fond de savoir quelle version est la vraie, dans quel hôtel Jeanne a réellement passé la nuit, et quels sont les événements exacts qui s’y sont déroulés. En fin de compte, les sept scènes détiennent un pan de vérité, et révèlent leur bribe d’humanité. Ce roman est un petit bijou de poésie, de finesse et de tout ce qui fait la mélancolie contemporaine, ce qui explique qu’on se retrouve un peu dans Jeanne, mais aussi dans ce qu’on aperçoit de cette femme, de cette homme, ou encore de cet enfant. Les émotions sont à fleur de peau, les rencontres lourdes de sens bien que toujours à peine effleurées, ces êtres profondément seuls qui se cognent les uns contre les autres. C’est tout simplement splendide.

« On se sent mieux en s’appuyant sur la solitude des autres comme sur une canne, ça nous rappelle la chance qu’on a d’avoir un autre près de soi, un autre quel qu’il soit, même s’il n’est pas si terrible, c’est toujours mieux que ça, que rien, que personne, et on serre l’autre dans ses mains et on se souvient qu’on y tient. »

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Actes Sud (Babel), août 2020, 112 pages

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