Le jour enseveli – Rosamond Lehmann

« – Vous trouvez que les jours heureux se suffisent à eux-mêmes, qu’il ne faut pas donner suite ? Que ce n’est pas nécessaire ?

– Peut-être. »

Deux soeurs, Madeleine et Dina, se retrouvent, après des années de silence et d’éloignement, pour un week-end à la campagne après la mort de Rickie, mari de la première et amant de la seconde. Un triangle amoureux tout ce qu’il y a de plus choquant et original… Le moment est venu pour elles de renouer, de mettre des mots sur les blessures du passé, sur les incompréhensions et les non-dits. Après ce début tout en gêne, le roman va à rebours, dans un mélange d’impression et de souvenirs parfois un peu décousu. La relation maritale de Madeleine, l’ainée des soeurs, celle qui souhaitait une vie conventionnelle et digne, est racontée en parallèle de la relation aussi passionnée qu’erratique de Dina, indépendante et forte tête. D’un côté, la famille bourgeoise parfaite, avec trois beaux enfants, une maison de ville et une maison de campagne ; de l’autre une vie de bohème, de fêtes, d’étreintes et de liberté.

« C’était la fin. Il était déjà parti. Elle se trouvait seule en face d’un étranger, ou d’un dément, ou d’un mort, qui à chaque parole, à chaque regard, à chaque geste suscitait une pluie de cendres grises qui s’accumulaient en couche de plus en plus épaisse sur lui, sur elle-même, sur tous les objets matériels qu’ils avaient possédés en commun, et qui attendaient, tout uniment, que se poursuive le lendemain, le surlendemain, une continuité qui ne serait plus assurée par personne. »

Après être littéralement tombée sous le charme de Poussière, j’avoue que ce roman est une déception. La lecture est ardue, non seulement parce que les introspections de chacun des personnages sont longues et tortueuses, bien qu’extrêmement fines et intelligentes ; mais également parce qu’il faut l’avouer, le récit de cet adultère, de ces trois vies gâchées, est pénible à lire. Les retours en arrière sont nombreux et parfois assez obscurs, me faisant alterner entre l’ennui et la plus parfaite confusion. Le récit, qui au fur et à mesure voit des personnages secondaires se greffer, est extrêmement dense et de plus en plus opaque. Les personnages se lancent sans cesse dans de longs dialogues dont la sincérité est discutable, et j’ai eu l’impression de me méprendre en permanence sur la nature des sentiments des uns et des autres. J’ai relevé par ailleurs dans cette édition pas mal de coquilles et de curiosités de traduction qui ont entravé encore un peu plus ma lecture et qui contribuent sans doute un peu à la déperdition du charme de la langue de la romancière.

« L’ombre la submergea, l’accompagna toute la nuit à travers les labyrinthes des choses passées et révolues, fantôme sans méchanceté. »

Il faut néanmoins reconnaître que Rosamond Lehmann fait preuve d’une habileté inégalable et admirable dans sa peinture des tourments intimes de ses personnages, explorant avec délicatesse et une précision presque chirurgicale leurs réflexions et leurs sentiments. Sa plume est, comme dans Poussière, tout simplement merveilleuse. Mais j’ai rarement connu une lecture aussi déprimante. Aucun espoir, des femmes et des hommes qui semblent perpétuellement à l’agonie mais pour lesquels on ressent peu d’empathie, ce qui crée une distance où l’émotion affleure rarement. Même dans les retrouvailles entre les deux femmes, un certain apaisement s’accompagne toujours de la constatation d’un bonheur impossible, de l’abandon inéluctable des femmes par les hommes. Une souffrance omniprésente qui rappelle sans doute celle éprouvée par l’écrivaine, qui se serait largement inspirée pour ce roman de sa relation avec le poète marié Cecil Day Lewis. Là où Poussière baignait dans une douce mélancolie, Le Jour enseveli bascule dans le marasme le plus total. Dommage, il s’agit cette fois pour moi d’une rencontre ratée, mais je ne perds pas espoir de renouer avec Rosamond Lehmann dans un autre de ses romans.

Ma note 2 out of 5 stars (2 / 5)

Éditions Libretto, traduit par Anne Marcel, 22 février 2011, 448 pages

2 commentaires sur “Le jour enseveli – Rosamond Lehmann

  1. J’ai noté « Poussière » que tu m’as donné envie de lire par ta chronique.
    Par contre pour celui-ci, je vais passer mon tour 😉
    Bonne journée

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