Les fantômes du vieux pays – Nathan Hill

Résumé :

Scandale aux États-Unis : le gouverneur Packer, candidat à la présidentielle, a été agressé en public par une femme de soixante et un ans qui devient une sensation médiatique. Samuel Anderson, professeur d’anglais à l’Université de Chicago, reconnaît alors à la télévision sa mère, qui l’a abandonné à l’âge de onze ans. Et voilà que l’éditeur de Samuel, qui lui avait versé une avance rondelette pour un roman qu’il n’a jamais écrit, menace de le poursuivre en justice. En désespoir de cause, le jeune homme promet un livre révélation sur cette mère dont il ne sait presque rien et se lance ainsi dans la reconstitution minutieuse de sa vie, à la découverte des secrets qui hantent sa famille depuis des décennies.

« Si Samuel avait su que sa mère allait partir, peut-être aurait-il fait plus attention. Peut-être l’aurait-il davantage écoutée, observée, aurait-il consigné certaines choses essentielles. Peut-être aurait-il agi autrement, parlé autrement, été une autre personne. Peut-être aurait-il pu être un enfant pour qui ça valait la peine de rester. »

Mon avis :

Comment ai-je pu passer à côté de ce roman aussi longtemps ? Cette lecture imposante (950 pages tout de même) m’a emportée très vite, et m’a impressionnée par sa densité ainsi que par la diversité des thèmes abordés. On pourrait parfaitement résumer ce roman grâce à la réplique de l’un des personnages : « Tout ce qu’il y a à savoir sur l’Amérique du XXIe siècle (ainsi que du XXe en réalité) est là ». Société de consommation, guerre du Vietnam, manifestations hippies, grandes villes vs banlieues, racisme, misogynie, éducation, immigration, et j’en passe… Ce roman foisonne de détails qui dessinent les contours de l’Amérique telle qu’on se la représente, dénonçant ses travers et soulignant les faiblesses d’une société dépassée. Samuel, le personnage principal, incarne cette génération dépossédée et perdue, et ses recherches vont éclairer d’un jour nouveau la génération de ses parents, puis de ses grands-parents.

« C’est cela l’amour (…) Nous aimons les gens parce qu’ils nous aiment. C’est du narcissisme. Mieux vaut être parfaitement clair sur ce sujet et ne pas laisser des abstractions comme le destin ou le sort semer la confusion. »

Samuel est un professeur de lettres désabusé. La morgue et le désintérêt de ses étudiants l’affligent, lui qui se rêvait grand écrivain. Alors pour combler la solitude et la frustration, il joue en ligne, rejoignant des milliers d’anonymes esseulés combattant les orques et les trolls. Les ennuis s’accumulent : son éditeur menace de le poursuivre en justice, une étudiante cherche à le discréditer pour ne pas être accusée de tricherie, et sa mère fait la une de toutes les chaînes d’informations du pays pour avoir agressé un homme politique. Une mère qu’il n’a pas revue depuis plus de vingt ans, depuis le matin où elle est partie sans jamais revenir. Pour échapper au procès, il accepte d’écrire un livre sur cette femme que toute l’Amérique conspue et qu’il ne connait plus. Le récit nous transporte alors en 1988, quand il était un enfant de onze ans trop sensible, désespéré à l’idée de décevoir sa maman. Il fait une rencontre décisive : Bishop, son premier vrai ami, et Bethany, son amour de jeunesse. Petit à petit le passé éclaire le présent : d’abord le passé de Samuel, puis celui de sa mère, lors de ces quelques mois de 1968 au cours desquels sa vie a pris un tournant drastique, et enfin celui de son grand-père, un immigré norvégien dont l’histoire est peuplé de fantômes.

« Si le temps guérit tant de choses, c’est qu’il nous dévie en des lieux où le passé semble impossible. »

Il est véritablement difficile et vain de tenter de résumer un tel roman tant il regorge de richesses et de détails. Tout est minutieusement raconté, rien n’est laissé au hasard, les personnages sont tous incroyablement dessinés, et on va de surprise en surprise, sans jamais tomber dans le prévisible ou le convenu. La critique qui se dévoile sur différents aspects de la société américaine est extrêmement fine et réfléchie. Il y a certes parfois quelques longueurs, mais sans que ça n’ait gêné ma lecture. J’ai quelques réserves sur la fin, les toutes dernières pages, plus banales, versant davantage dans la leçon de vie, ce que je trouve toujours un peu dommage, mais on lui pardonne facilement : quel autre moyen l’auteur pouvait-il avoir pour terminer cette gigantesque fresque romanesque…?

« C’est le genre de questions que vous vous posez quand vous êtes au bord du gouffre. Quand vous comprenez tout à coup que non seulement la vie que vous vivez n’est pas du tout celle que vous vouliez vivre mais qu’en plus vous avez le sentiment d’être agressé et puni par la vie que vous avez. C’est là que vous commencez à chercher à quel moment vous avez commencé à prendre les mauvaises décisions. »

J’ai souvent lu que ce roman était drôle. J’avoue ne pas avoir ri, tout au plus esquissé un sourire lors de certains passages d’une ironie mordante, mais toujours concernant des personnages secondaires (je pense principalement au geek Pwnage ou à l’étudiante Laura Pottsdam). Mais dans son ensemble, j’ai trouvé ce roman extrêmement triste, plein de désillusion face aux espoirs brisés et aux promesses non tenues. Par moments, il m’a fait penser pour cette raison au Chardonneret de Donna Tartt, bien que les différences soient criantes. Il a fallu dix ans à Nathan Hill pour écrire Les fantômes du vieux pays, et on a tout de même peine à croire qu’il ne s’agit que d’un premier roman tant il est ambitieux et maîtrisé. Je l’ai lu d’une traite, peinant à retrouver mon souffle, et terminé totalement bluffée par ce roman époustouflant, qui se hissera probablement au rang des grands classiques de la littérature américaine.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

 

 

 

Éditions Folio, traduit par Mathilde Bach, 23 août 2018, 960 pages

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