La Mer – John Banville

Résumé :

À la mort de sa femme, Max décide de retourner aux Cèdres, propriété du bord de mer et maison de son enfance. Tiraillé par le chagrin, la colère et l’insondable douleur du deuil, il se réfugie dans le passé, pour « échapper au présent froid et à l’avenir encore plus froid ». Il y revit ces moments d’enfance, troublé et fasciné par la famille Grace : Constance, la mère séductrice ; Carlo, le père autocrate ; et puis les mystérieux jumeaux, Chloé et Myles, le garçon muet. Il y revit aussi ce tragique événement qui marquera au fer rouge le reste de son existence…

« Puis soudainement, non, pas soudainement, mais dans une sorte de houle impérieuse, toute la mer s’est soulevée, ce n’était pas une vague, mais un rouleau paisible qui semblait surgi des grandes profondeurs, à croire qu’un énorme quelque chose avait bougé là en dessous, et j’ai été soulevé et emporté un peu plus loin vers le rivage, puis reposé sur mes pieds comme auparavant, comme s’il ne s’était rien passé. Et en effet il ne s’était rien passé, juste un formidable rien, juste un autre haussement d’épaules indifférent du vaste monde. »

Mon avis :

Un très beau roman sur le deuil et les souvenirs, qui réussit l’exploit de ne pas être larmoyant.

Après la disparition de sa femme, Max retourne, inexplicablement, sur les lieux de ses vacances d’enfant. Là-bas il se souvient des derniers moments d’Anna, mais aussi de ce fameux été où tout a changé. Il avait une dizaine d’années, logeait avec ses parents dans des bungalows miteux, et sa route a croisé celle de la famille Grace, qui louait une villa en bord de mer. Le père, Carlo, est sonore et imposant, la mère, Connie, est séduisante et désinvolte, et les deux enfants, des jumeaux, Chloé et Myles, sont aussi excentriques qu’attirants. Très vite le jeune Max se coule dans le quotidien de cette famille, se liant d’amitié avec Chloé afin d’approcher au plus près d’eux et de leur vie fabuleuse.

« Le passé cogne en moi, comme un second coeur. »

Pourquoi Max a-t-il décidé de partir faire son deuil dans cet endroit isolé, ce petit village perdu au bord de la mer, encore plus morne, froid et désolé en période hivernale ?  Incapable de demeurer dans une maison vide, ni de reprendre la rédaction de son livre consacré au peintre Bonnard, il est parti sur un coup de tête, sourd aux réticences de sa fille. Entre passé et présent, souvenirs d’enfance et souvenirs d’hôpital, il vogue d’une souffrance à l’autre et cherche des réponses, une issue quelconque. Étrangement, l’été de son enfance passé auprès des Grace apparaît comme une charnière, comme s’il avait conditionné l’ensemble de sa vie. Jeune garçon effacé, ignoré de ses parents, et à l’imagination débordante, Max va connaître, d’abord avec Connie, dont les formes plantureuses le fascinent, puis avec la jeune Chloé, l’éveil à la sensualité, à la sexualité, et de manière générale au monde des adultes, avec ses codes et ses mystères. À l’autre bout de ses souvenirs se trouvent ceux ayant trait à sa femme. Il se repasse inexorablement les derniers mois d’Anna, s’attardant sur des détails, s’interrogeant sur sa conduite et sur leur couple. Il se livre à une analyse presque chirurgicale de certains épisodes qui lui reviennent en mémoire, et s’efforce désespérément de s’en rappeler d’autres, désemparé face à l’absence incommensurable.

« Je m’oblige à penser à elle, j’en fais un exercice. Elle a beau être fichée en moi tel un couteau, je commence pourtant à l’oublier. Déjà son image s’effiloche dans ma tête, des bribes de pigments, de petits bouts de feuilles d’or s’écaillent. La toile sera-t-elle complètement vide un jour ? »

On a parfois un peu de mal à se repérer dans le brouhaha des pensées de cet homme meurtri, hébété, en deuil, et très souvent alcoolisé. Max n’est pas un personnage particulièrement sympathique, cet accès sans filtre au déroulé de ses réflexions n’est pas toujours à son avantage, apparaissant parfois abject, égoïste, vaniteux, bref très, voire trop, humain. Pourtant il arrive miraculeusement à provoquer l’empathie, on se retrouve dans cet homme à la dérive, ne sachant comment faire son deuil et poursuivre sa vie, coincé par les souvenirs d’un temps où tout était encore possible. La métaphore du deuil et de la mer est très maîtrisée, le roman jouant perpétuellement avec cette impression, inhérente à la maladie ou à l’état amoureux, de perdre pied et de subir les marées sans avoir aucune prise sur les événements. Il y a un érotisme latent tout au long du roman qui tranche avec la description froide et sans concessions de la fin de vie de sa femme. Et bien sûr une immense nostalgie, qui monte par vagues de plus en plus insurmontables pour Max, jusqu’à la révélation finale, surprenante et tragique.

Ma note 3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

 

 

 

Éditions Points, traduit par Michèle Albaret-Maatsch, 20 mai 2009, 256 pages

 

4 commentaires sur “La Mer – John Banville

  1. Je l’ai lu il y a (très) longtemps. J’avais beaucoup aimé mais, dans le même genre, préféré « La bruyère incendiée » de Colm Toibin.

    1. Ah c’est drôle, c’est vrai qu’il y a des points communs mais je trouve ces deux romans très différents ! Et je te rejoins, j’ai adoré La bruyère incendiée, ce roman est d’une beauté incroyable

Laisser un commentaire