
Résumé :
Au début des années 1980, à la fac de Luton, près de Londres, Robbie, un adolescent de 17 ans né à Dublin, fait la connaissance de Fran, jeune homme d’origine vietnamienne incroyablement libre et extravagant. De leur étonnante amitié naît « The Ships in the Night », un groupe de rock, que rejoignent les jumeaux Trez et Seán. De leurs débuts en Angleterre et aux États-Unis jusqu’à leur succès inattendu, et sans occulter leur séparation, Robbie tente de se souvenir de tout, bien des années plus tard. Alcoolique repenti, il ne joue plus de guitare et n’a pas revu Fran depuis la dissolution du groupe. En écrivant leur histoire commune, c’est un ami, un frère, qu’il cherche à retrouver. C’est alors que Trez et Seán organisent une soirée à Dublin pour les réunir tous…
« Maman, je suis désolé. Je sais tout ce que tu m’as donné. Mais quand la chance s’est présentée de vendre mon âme au rock’n’roll, je n’ai pas réfléchi longtemps. J’ai foncé. »
Mon avis :
Je trépignais d’envie de m’y plonger, et pourtant au début de ma lecture, j’ai cru que j’allais devoir écrire une chronique désabusée sur le dernier roman de Joseph O’Connor. Totalement désarçonnée par ce livre diamétralement opposé à Inishowen et À l’Irlandaise, qui m’avaient tous deux bouleversée, j’ai renâclé face aux longueurs, aux descriptions sans fin sur les détails de guitares, d’accords, ou de tenues vestimentaires des membres de ce groupe de rock lunaire. Femme de peu de foi… C’était bien mal connaître Joseph O’Connor, dont l’incroyable plume et le talent pour faire jaillir l’émotion ne cessent de m’impressionner. J’ai entamé ce roman avec des doutes, je l’ai terminé littéralement en larmes.
Ce qui m’a bluffée tout de suite, c’est la forme. Ce sont les mémoires de Robert Goulding, l’un des membres fondateurs du groupe The Ships in the Night. Ne cherchez pas, il n’existe pas. Et pourtant c’est tellement bien fait, que j’ai dû me retenir de chercher sur Google une quinzaine de fois. Le ton est d’une justesse incroyable, j’avais l’impression d’assister aux débuts d’un mélange entre les Beatles et U2. Ce roman est un hommage brillant au rock, et en particulier au rock anglais. C’est truffé de références musicales (parfois même un peu trop, je n’ai pas le niveau de Joseph O’Connor…), et les quatre personnages formant le groupe nous paraissent intensément familiers.
« C’était une époque d’abandon étrange, obscure, une de ces périodes au cours desquelles se forme une carapace, processus qui démarre alors même que vous vivez les choses. »
Au départ il y a Robbie bien sûr, jeune Irlandais parachuté avec ses parents et son frère dans un village de la périphérie londonienne après un drame familial. À l’université, il repère un jeune homme atypique, tant par son code vestimentaire que par sa personnalité, et ils se lient d’une amitié profonde, presque fusionnelle. Fran est un garçon d’origine vietnamienne, adopté puis abandonné, à l’enfance terrible, et qui a tout du génie. Ensemble ils commencent à gratter la guitare, avant que deux autres éléments viennent se greffer, les jumeaux Trez (Sarah-Thérèse c’était moins rock’n’roll) et Seán. C’est surtout la mise en place que j’ai trouvé un peu longue, il faut bien une centaine de pages avant que le groupe soit au complet. Mais c’est paradoxalement ce qui est brillant justement, cette profusion de détails, qui parfois honnêtement m’a paru un peu rébarbative (surtout au début du roman), contribue à donner au récit une réalité extrêmement dense. Cela contribue à en faire de véritables mémoires, rien de ce qui a constitué le passé du groupe n’est occulté.
« Et puis il y a ce qu’on regrette pour des raisons complètement différentes, si seulement on avait les mots pour les exprimer, mais non bien sûr, on ne les a pas, et on ne les aura jamais. C’est pour ça qu’il y a les chansons. Elles savent, elles, quand nous, on est paumés. Elles s’infiltrent dans l’espace interstellaire qui nous sépare de ces taches d’encre qu’on appelle les mots, elles vivent là où il n’y a pas d’oxygène, elles effacent les distances. »
C’est un roman sur le rock bien sûr, mais c’est surtout un roman d’apprentissage magnifique, qui examine avec justesse les complexités de l’amitié. Robbie, notre narrateur, est bien entendu terriblement attachant, mais à vrai dire ils le sont tous. Chacun d’eux est dépeint sans concession, et leur personnalité si bien circonscrite que j’ai eu l’impression de les avoir toujours connus, ces membres d’un groupe de rock qui a cartonné du jour au lendemain après des jours de galères, à vivre dans des squats, à se casser les dents sur des opportunités, et qui vont changer de vie brutalement, sur un coup de chance. Des jeunes de vingt ans, dans les années 80, qui ne vivaient que pour leur musique et pour leurs copains. Un jour, le groupe s’effondre, c’est le début des longues années de séparation, la drogue, l’alcool, la colère. Jusqu’en 2012 à Dublin, où le groupe décide de remonter sur scène pour un dernier concert. Je crois que c’est dans ces dernières pages que j’ai le plus retrouvé la patte de Joseph O’Connor, cette émotion pure, juste, jamais forcée, si brute, si humaine. Splendide…
Ce ne sera pas l’un de mes préférés, mais quel roman ! Et surtout quel auteur !
Ma note (5 / 5)
Éditions 10/18, traduit par Carine Chichereau, 16 mai 2019, 456 pages