
Résumé :
Élevée au sein d’une famille aimante, la jeune Agnès Grey, fille d’un pasteur ruiné du nord de l’Angleterre, décide de tenter sa chance dans le monde en se faisant gouvernante. Pleine de bonnes intentions mais inexpérimentée, elle se heurte bien vite à l’hostilité des Bloomfield, une famille de commerçants enrichis, égoïstes et snobs. Désarmée face à l’indiscipline des enfants gâtés dont elle a la garde, elle sera renvoyée au bout de quelques mois. Sans désemparer, et dans l’obligation de subvenir à ses besoins, elle trouve alors un emploi chez les Murray. Les jours passent, avec leur lot de monotonie et de difficultés, jusqu’à l’arrivée du jeune vicaire, Edward Weston…
« Le coeur humain est comme le caoutchouc : un faible effort l’allonge, un grand ne le rompt pas. Si un peu plus que rien peut le troubler, il ne faut guère moins que tout pour le briser. Comme les membres extérieurs de notre corps, il a un pouvoir vital inhérent à lui, qui le fortifie contre la violence externe. Chaque coup qui le frappe sert à l’endurcir contre un coup futur. »
Mon avis :
Agnès Grey a été publié en même temps que Jane Eyre et Les Hauts de Hurlevent, et bien que le talent d’écriture d’Anne Brontë soit indéniable, son roman n’est à mon sens pas à la hauteur de ceux de ses soeurs. On n’y retrouve pas la violence des sentiments et l’atmosphère très caractéristique du roman d’Emily, ni la densité de l’intrigue et des personnages de celui de Charlotte. Et il est bien moins puissant et original que La dame du manoir de Wildfell Hall, qu’elle écrira un an plus tard, avant de décéder, comme son frère Branwell et Emily avant elle, de la tuberculose.
Ce roman ne m’a donc pas transportée, comme je m’y attendais venant d’une Brontë. L’intrigue manque de piquant, il y a beaucoup de longueurs, et, comme dans La dame du manoir de Wildfell Hall d’ailleurs, beaucoup de mysticisme et de considérations religieuses. Même lorsqu’elle tombe amoureuse du vicaire Edward Weston et qu’un petit drame sentimental se profile, c’est encore bien froid et sage, comparé à ce qu’avaient vécu Jane, Catherine, ou même Helen.
« Ma position était celle d’une personne enlevée par un charme magique, tombant tout à coup des nues sur une terre lointaine et ignorée, complètement isolée de tout ce qu’elle a vu et connu auparavant ; ou bien encore celle d’une semence emportée par le vent dans quelque coin d’un sol aride, où elle doit demeurer longtemps avant de prendre racine et de germer. »
Néanmoins, on aurait tort de se priver de la plume d’Anne Brontë, limpide, délicate et d’une grande finesse, qui magnifie la plus banale des descriptions. Et des descriptions il y en a en effet beaucoup dans Agnès Grey, non tant des descriptions de lieux que des descriptions de caractères. Ainsi l’auteure prend-elle son temps pour nous dépeindre les différents personnages de son livre, en particulier les membres des deux familles chez lesquelles elle a été employée. Écrit à la première personne, sous forme de journal, le récit suit les difficultés d’Agnès, une jeune gouvernante, fille de pasteur, à se faire respecter, tant des enfants dont elle a la garde que des parents eux-mêmes. Ainsi les enfants sont-ils longuement décrits comme méchants, insolents, cruels envers les animaux, fainéants. Quant aux filles plus âgées, Agnès constate leur manque d’intelligence et de raisonnement, leur vanité, et leur désir cruel de s’attirer les faveurs de tous les hommes du comté afin de mieux les repousser par la suite. Les parents sont quant à eux condescendants, dépourvus de tout égard envers elle, et exigeant d’elle qu’elle inculque un comportement chez leurs enfants qu’ils ne possèdent pas eux-mêmes et qu’ils s’empressent de détruire en gâtant leur progéniture.
L’intrigue en elle-même n’est pas passionnante ni originale, ce qui l’est en revanche, c’est ce plaidoyer pour une meilleure reconnaissance de la condition de gouvernante. Si les gouvernantes ne courent plus les rues aujourd’hui, ce qu’Anne Brontë écrit sur l’éducation des enfants, et sur la part de responsabilité des parents dans cette éducation, est d’une actualité féroce, et mérite qu’on s’y attarde. Ainsi dénonce-t-elle le renoncement de certains parents à intervenir dans l’éducation de leurs enfants et à faire preuve d’autorité, s’en remettant entièrement au personnel qu’ils estiment habilité pour ce faire. Si la situation d’Agnès est moins pénible dans la deuxième maison, le comportement des deux mères est assez similaire : toutes deux estiment que leurs enfants sont extrêmement intelligents, et qu’il ne faut pas les contrarier par trop d’autorité et de contraintes, mais au contraire tout faire pour leur bon plaisir. La situation délicate dans laquelle se trouve alors Agnès en tant que gouvernante fait penser au discours de certains enseignants aujourd’hui.
« Je ne connais pas de situation comparable à celle de la pauvre gouvernante qui, désireuse de réussir, voit tous ses efforts réduits à néant par ceux qui sont au-dessous d’elle et injustement censurés par ceux qui sont au-dessus. »
Cette critique de la condition des gouvernantes se double d’une satire sociologique, l’auteure dénonçant les moeurs de la haute société anglaise de l’époque, bien moins vertueuse que les petites gens, comme le démontrent les familles de paysans à qui Agnès rend visite. Le roman est tiré de l’expérience de son auteure, ce qui rend le récit d’une grande justesse et précision, à tel point qu’on a du mal à dissocier Agnès d’Anne. Mais malheureusement pour Anne Brontë, son héroïne connaîtra un avenir bien plus enviable que le sien.
Ma note (3,5 / 5)