« Donc, vous possédiez tout, et vous le possédez encore, et vous pensez que le capital consiste à posséder des choses. Mais vous vous trompez. Le capital consiste à controler des choses. Le contrôle , tout est là. »
À trente-huit ans à peine, Sherman McCoy est un prodige de Wall Street ; il touche un million de dollars de revenus annuels, et a investi dans un gigantesque appartement sur Park Avenue ; il a une femme décoratrice d’intérieur, « encore jolie » mais bien trop exigeante à son goût, et une jeune enfant qu’il aime profondément. Pour parfaire le cliché, il entretient une liaison sulfureuse avec la femme d’un richissime homme d’affaires juif. Alors qu’il a décidé d’aller chercher sa maîtresse à l’aéroport, ils se perdent sur la route du retour et se retrouvent en plein milieu du Bronx au lieu de leur confortable Manhattan. Tandis que Sherman se voit contraint de sortir de sa luxueuse Mercedes pour dégager la route encombrée, il voit s’approcher deux jeunes Noirs. Affolé, persuadé d’être tombé dans un traquenard, le couple parvient à leur échapper, non sans avoir renversé l’un deux. Sherman guette une mention de l’incident dans les journaux et se croit tiré d’affaire lorsqu’un journaliste anglais prêt à tout pour percer, dévoile la sordide affaire de ce jeune garçon noir prometteur plongé dans le coma à la suite d’un délit de fuite causé par une voiture de luxe. Un fait divers lamentablement banal, et pourtant les médias et les politiques, poursuivant leurs propres desseins, vont tous s’en emparer et initier la terrible descente aux enfers du golden boy.
« Un mensonge peut tromper quelqu’un mais il vous dit la vérité : vous êtes faible. »
Le ton est donné dès le titre, mais de quelles vanités parle-t-on ? À l’évidence tout d’abord de celle de Sherman Mccoy, qui fait référence a lui-même comme un Maitre de l’univers. Aveuglé par ses privilèges et ses ambitions, Sherman est le personnage parfaitement détestable qu’on se prend à espérer voir trébucher. Mais au fil de sa chute et du récit, ce sont les vanités de tous les autres, tous ceux qui cherchent à tirer leur épingle du jeu de l’affaire, qui sautent aux yeux, d’autant que Tom Wolfe agrémente son intrigue de personnages secondaires hauts en couleur, du révérend Bacon à l’avocat irlandais Thomas Killian. Pour autant le récit tourne essentiellement autour des points de vue de trois hommes blancs : McCoy bien sûr, le procureur Larry Kramer qui bande les muscles pour impressionner une fille du jury, et le journaliste britannique Peter Fallows, prêt à tout pour sauver son job et réussir à se faire inviter au restaurant par ces idiots d’Américains. Une restriction de points de vue que j’ai trouvée quelque peu dommage pour un roman paradoxalement si moderne.
« Ne vous retrouvez jamais pris dans le système de la justice américaine. Dès que vous êtes pris dans la machinerie, juste la machinerie, vous avez perdu. La seule question qui demeure, c’est combien vous allez perdre. »
Il s’agit d’une grande satire sociale sur la richesse, la classe sociale et les fractures raciales. C’est aussi un drame juridique, révélateur profond d’une justice à deux vitesses. C’est enfin un instantané de la ville de New York, une ville qui n’existe plus aujourd’hui mais qui nous replonge dans ses quartiers typiques des années 80. Certaines parties de ce roman sont profondément drôles, portées par le cynisme ambiant et quelques comiques de répétition, d’autres ont contraires sont assez désespérantes. Il m’a semblé voir une inspiration victorienne dans ce roman qui m’a beaucoup plu, il y a du Dickens et du Thackeray (je ne cesse d’ailleurs d’inverser les deux titres…!) dans ces pages, ce foisonnement de personnages croqués avec ironie, cette esquisse d’une société divisée et hypocrite. Si la première moitié du roman m’a parue un peu longue à se mettre en place, j’ai été bien davantage emportée par le rythme effréné de la narration dans la seconde moitié. En revanche le style caractéristique de Wolfe, qui repose sur des phrases répétitives, des transcriptions phonétiques incessantes, des monologues internes, m’a un peu agacée et a perturbé par moments ma lecture. Hormis ce léger bémol, je comprends sans peine qu’on s’y réfère comme à un roman culte du panorama littéraire américain.
Ma note
(4 / 5)
Éditions Livre de Poche, traduit par Benjamin Legrand, 14 mai 1990, 918 pages


Je l’ai lu cette année, j’ai adoré… c’est foisonnant et cinglant…