
« Toutes mes joies, tous mes drames sont d’Italie. Je viens d’une terre où la beauté est toujours aux abois. Qu’elle s’endorme cinq minutes, la laideur l’égorgera sans pitié. Les génies naissent ici comme de mauvais herbes. On chante comme on tue, on dessine comme on trompe, on fait pisser les chiens sur les murs des églises. »
1986. Au coeur de l’abbaye de la Sacra di San Michele, un vieil homme se meurt. Contrairement à ceux qui l’entourent dans ses derniers instants, il n’a pas prononcé de voeux, mais a été autorisé à vivre parmi eux afin de veiller sur elle. Elle, c’est une statue, cachée dans l’ombre, enfermée à double tour, protégée des regards. Quels mystères les unissent ? Replongeant pour la dernière fois dans ses souvenirs, cet homme énigmatique va lentement dérouler le fil d’une vie hors normes.
Mimo Vitaliani est un sculpteur de génie, dont le talent est apparu dès l’enfance, lorsqu’à la mort de son père en 1916 il est envoyé chez son oncle comme apprenti, un homme alcoolique et violent qui le maltraite et refuse de le payer. Atteint d’achondroplasie, il est régulièrement humilié, traité de nabot et rejeté pour une différence physique qui ne parviendra néanmoins pas à occulter un talent de plus en plus évident au fil des mois. Son arrivée au petit village de Pietra d’Alba va changer sa vie. Il y rencontre Viola, la fille chérie de la plus grande famille de la région, les Orsini. Une fillette fantasque, brillante, impétueuse, dévorée par des rêves encore bien trop inatteignables par une jeune fille de bonne famille à cette époque. Deux êtres que tout oppose mais qui se reconnaissent, et décident d’entreprendre une lutte pour leur identité et leurs désirs, afin de s’affranchir des conventions et des obstacles qu’on placera sur un chemin que l’on imagine déjà semé d’embûches.
« Tu sauras que tu es sur le bon chemin, Mimo, quand tout le monde te dira le contraire. »
Dans ces pages, il y a des décennies d’histoires italienne, politique, religieuse, populaire, à mesure que l’on suit la vie des grands, ces puissants qui régissent la valse du monde, et des petits, ces tailleurs de pierre, ouvriers, forains qui fourmillent dans les villes et donnent une énergie folle au roman. C’est une fresque d’un monde en pleine mutation, traversé par deux guerres et des changements violents. C’est aussi une histoire d’amour hésitant avec l’amitié entre Viola et Mimo, qui résistera aux heurts du temps et des épreuves, et qui se nourrira de l’intensité de leurs échanges et de leur confiance mutuelle. Si Mimo connaitra la gloire grâce à la protection et au parrainage des Orsini, qui se mêlent de plus en plus aux milieux fascistes, l’un cherchant à être un proche de Mussolini, l’autre traçant sa voie jusqu’à la papauté, c’est surtout grâce à Viola qu’il conservera sa liberté, et entretiendra son esprit critique, son intelligence et son attention au monde qui l’entoure. Ces deux personnages terriblement attachants, ainsi que leur relation aussi tumultueuse que passionnée, sont le coeur du roman, mais les personnages secondaires ne sont pas en reste avec Vittorino (alias Alinéa), Emmanuelle, Metti ou encore Bizarro.
Avec cette ode à la liberté et à la différence, Jean-Baptiste Andréa nous offre un roman impossible à lâcher tant il tarde de connaître les mystères de la statue et les arcanes du coeur de nos héros. Magnifique et bouleversant !
Ma note (5 / 5)
Éditions L’Iconoclaste, 17 août 2023, 562 pages