Le Portrait de mariage – Maggie O’Farrell

En cette froide soirée de 1561, la nuit est tombée sur la forteresse de Bondeno. La duchesse Lucrèce, âgée de seize ans et mariée depuis un an à peine à Alphonse d’Este, duc de Ferrara, est attablée en compagnie de son époux lorsqu’une certitude terrible la pétrifie : elle va mourir, il s’apprête à la tuer. Pourtant rien dans le comportement d’Alphonse ne le laisse présumer, il la regarde aimablement, amoureusement même, l’enjoint à manger davantage, elle est si frêle. Mais Lucrèce sait, la mort rôde, sa belle-soeur l’avait pourtant prévenue qu’elle serait punie. À partir des minces sources historiques existant sur cette jeune fille morte si jeune, officiellement d’une fièvre malgré les nombreuses rumeurs, Maggie O’Farrell va tirer les fils d’une histoire fascinante, pour entremêler l’Histoire et la fiction avec un talent extraordinaire. Alternant passé et présent, par petites touches tel le peintre chargé du portrait de mariage commandé par Alphonse, la romancière irlandaise nous offre le personnage inoubliable de Lucrèce de Médicis, seule face à son destin.

Quatrième née de l’union du grand-duc Cosme Ier de Médicis et sa femme Eleonora, Lucrèce grandit à Florence dans un palazzo plein de vie. Elle est rabrouée pour son imagination débordante, sa vivacité, son intrépidité. Elle est cette petite fille qui caresse le dos d’une tigresse. Qui fait preuve d’un talent artistique aussi précoce que prononcé et s’adonne à la technique des repeints. Elle sera aussi cette jeune fille de treize ans forcée de remplacer sa soeur décédée dans un mariage avec un homme de plus de vingt ans son ainé. Impuissante à s’y dérober, elle essaie de bonne grâce de comprendre et d’aimer cet inconnu devenu son époux. Mais si Alphonse lui parait de prime abord en tout point charmant, tel Janus, il finira par revêtir de nombreux visages.

Si I am I am I am a véritablement marqué un tournant dans son oeuvre, Maggie O’Farrell confirme depuis Hamnet avoir trouvé dans le roman d’inspiration historique un genre qui la place au sommet de son art.  Elle excelle comme toujours à dépeindre les lieux, les époques, mais surtout des personnages féminins aux prises avec leur condition, inextricablement emprisonnées par un père ou un mari, privées de tout rôle intellectuel qui les détournerait de leur unique fonction : produire un héritier. Par le prisme de Lucrèce, la romancière leur offre une voix, une liberté et une puissance folles. La romancière manie avec brio l’émotion et le suspens, et le style est puissamment évocateur, retranscrivant sous nos yeux les cours de la Renaissance italienne, les palazzos, les robes, les bals, les jardins luxuriants, et la nature environnante, que Lucrèce découvre pour la première fois le jour de son mariage. Chronique d’une mort annoncée, le roman, grâce à une construction terriblement efficace, multiplie les rebondissements et laisse planer une tension de plus en plus étouffante à mesure que l’on s’attache à Lucrèce, que l’on découvre la personnalité de son mari ainsi que de ceux qui l’entourent, et que l’on redoute un destin prédit dès la première ligne. Les dernières pages se lisent le souffle coupé et le coeur battant, clôturant brillamment ce roman d’une grande maîtrise.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

Éditions Belfond, traduit par Sarah Tardy, 24 août 2023, 416 pages 

2 commentaires sur “Le Portrait de mariage – Maggie O’Farrell

  1. J’ai lu Hamnet il n’y a pas très longtemps et j’ai adoré. Tu me donnes envie de découvrir Le portrait de mariage maintenant 🙂

  2. Depuis que j’ai lu Hamnet, je suis devenue fan de Maggie O’Farrell. J’ai ensuite lu I am I am et j’attends ce nouveau roman avec impatience ! Merci pour cette chronique – qui m’a donné encore plus envie si c’était possible 🙂

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