
« Dans les années 1580, un couple qui habitait Henley Street, dans la ville de Stratford, eut trois enfants : Susanna, puis Hamnet et Judith, des jumeaux.
Le garçon, Hamnet, mourut en 1596, à l’âge de onze ans.
Quatre ans plus tard environ, son père écrivit une pièce de théâtre intitulée Hamlet. »
Je crois qu’il n’y a pas plus grand bonheur dans la vie d’un lecteur que de découvrir le nouveau roman de l’un de ses écrivains fétiches, et pour moi, Maggie O’Farrell est l’une de ceux là. En refermant les pages de ce livre merveilleux, je ne peux m’empêcher d’admirer le chemin parcouru, depuis le poignant Quand tu es parti, en passant par Assez de bleu dans le ciel, jusqu’à Hamnet, qui ne ressemble à rien de ce que l’autrice a écrit jusque là. C’était déjà le cas avec son avant-dernier livre, I am I am I am, qui exceptionnellement n’était pas un roman mais un récit autobiographique, intime. Avec Hamnet, Maggie O’Farrell renoue avec le roman mais s’attaque avec audace à la plus grande figure littéraire anglaise, mythe parmi les mythes : Shakespeare. Avec elle, on rentre par la petite porte, celle de l’intimité du dramaturge sur lequel on sait somme toute si peu de choses et qui a donné naissance à toutes sortes de fantasmes. L’Histoire a oublié son fils, ce petit garçon qui donnera pourtant son nom à l’une des pièces de théâtre les plus célèbres, un nom qui éclipse le temps de ces quelques pages celui de son père, qui ne sera quant à lui jamais cité. Maggie O’Farrell lui redonne vie, et Hamnet s’incarne sous nos yeux dans ce roman sublime et vibrant d’émotion, devenant à jamais inoubliable pour son lecteur.
« Souviens-toi de moi ».
Avant même la première ligne, le lecteur connait le sort réservé au petit garçon que l’on rencontre tout de suite, descendant un escalier et cherchant sa mère pour venir au chevet de sa soeur, Judith, tombée brusquement malade. Ainsi s’étire longuement le récit de cette terrible journée d’été 1596 où la Mort rôde, entrecoupé par le récit de la genèse : l’histoire d’amour des parents d’Hamnet. Car si ce petit garçon si attachant est au coeur du roman, c’est également le cas d’Agnès, sa mère. Son père, rêvant d’exercer ses talents loin de la cellule familiale et d’un patriarche violent et tyrannique, tombe amoureux d’elle au premier regard. Pourtant il court bien des racontars en ville sur cette jeune fille que l’on juge sauvage, un peu sorcière, un peu folle, qui guérit par les plantes et connait tout d’une personne rien qu’en lui touchant la main. Agnès est ancrée dans la nature, se moque du regard des autres, et veille sur ses enfants comme une louve, prête à tout pour le bonheur de ceux qu’elle aime. Elle évolue dans la vie avec assurance et confiance, inconsciente du malheur qui allait venir la frapper, et seule, avec une détermination farouche, tandis que son mari est à Londres pour trouver sa voie, elle va disputer ses enfants à la Mort. Avec Agnès, Maggie O’Farrell nous offre un personnage féminin magnifique, la femme de l’ombre du Barde, lumineuse, puissante, sensible, bouleversante.
« Elle aimerait pouvoir séparer les brins, revenir à la toison avant qu’elle ne soit laine, remonter le chemin jusqu’à cet instant, car alors elle se lèverait, tournerait son visage vers les étoiles, vers les cieux, vers la lune, et les supplierait de changer le cours de l’histoire, de faire qu’une autre issue lui soit proposée, par pitié, par pitié. »
La mort est une thématique récurrente chez Maggie O’Farrell, et avec cette histoire tragique qui raconte la mort d’un enfant, prennent corps la souffrance, la culpabilité, le deuil, le trou béant de la perte, le refus de l’oubli… Nos coeurs battent à l’unisson des membres de cette famille à mesure que nous vivons leur angoisse, leur détresse, leur peur, leur incompréhension, leur douleur, mais aussi leur tendresse, leur amour, leur complicité. Véritable magicienne des mots, Maggie O’Farrell déploie ici un style empreint de poésie, de sensibilité mais aussi de cette simplicité de l’instant. Certains passages m’ont arraché des frissons, d’autres des larmes, à mesure que déferle l’émotion, brute, intense et profondément intime. Un roman poignant aux personnages immortels, immensément triste, immensément beau, immensément humain.
Ma note (5 / 5)
Éditions Belfond, traduit par Sarah Tardy, 1er avril 2021, 368 pages
Je me le suis procuré d’urgence, c’est aussi une d m es auteures favorites ! Pas encore commencé … vivement ! très beau billet.
Bonne lecture Christelle !
J’ai adoré ce livre. Le premier de cette auteure que je ne connaissais pas mais quelle belle découverte. Quelle plume magnifique, tout en douceur et nuances.