La mauvaise habitude – Alana S. Portero

« Je n’avais pas encore appris que la violence machiste s’exerce indépendamment de ce que les femmes font ou renoncent à faire. »

Madrid dans les années 80. La petite Alana grandit dans le quartier populaire de San Blas, encore essentiellement composé de petits immeubles de trois étages habités par des familles d’ouvriers, espacés de terrains vagues désolés où l’héroïne fait des ravages. Un quartier difficile, pauvre, mais où la solidarité règne aussi, les voisins veillant les uns sur les autres. Nous suivons les pas de cette petite fille née dans un corps de garçon, qui se cache dans la salle de bains pour se maquiller, observe avec ravissement sa mère et ses copines, et cherche des modèles d’émancipation chez Madonna, George Michael, ou encore Boy George. De son enfance à l’âge adulte, elle raconte son placard, la peur, la honte et l’humiliation. Ses tâtonnements, ses blessures et ses progrès. La violence et la cruauté également.

Le portrait de l’enfance et de l’adolescence d’Alana est poignant, tant il illustre ses difficultés à trouver un modèle auquel s’identifier parmi ce qui l’entoure et qu’elle observe avec autant de fascination que de crainte : La Perruque d’abord, vieille dame solitaire qui terrorise tout le quartier ; puis La Margarita, seule travesti du quartier, dont le visage ravagé et la solitude lui fait peur, mais dont la rencontre offre les passages les plus sublimes du roman ; et plus tard La Moralta, La Cartier, arpentant les trottoirs madrilènes, lui feront entrapercevoir des perspectives inédites et, enfin, l’espoir. Une galerie de portraits vivaces, cabossés, drôles et tendres. Pendant de nombreuses années, Alana choisira de ne pas en parler avec sa famille, de ne pas sortir du placard, menant une double vie, celle de quelqu’un qui subit un corps qu’elle exècre durant le jour, et qui se transforme enfin en celle qu’elle doit être la nuit. Une double vie déchirante aux douloureuses répercussions.

Roman autobiographique, c’est également le portrait d’une époque, d’une Espagne fracturée, qui oublie facilement ses laissés-pour compte, qui hésite encore entre le carcan dans lequel elle a été trop enfermée, et la liberté absolue à laquelle elle aspire. Car si la Movida a secoué les mentalités dans la culture et que les films d’Almodovar débordent de couleurs et de diversité, la société peine encore à suivre le même rythme. La ville, par ailleurs, est omniprésente : Madrid transpire de ces pages, ses rues, ses habitants, ravivant au passage mon mal du pays.

La mauvaise habitude est un roman cru et féroce qui montre la difficulté à survivre dans une société qui n’accepte pas la différence. Avec intelligence, humour et un pouvoir d’évocation rare, Alana Portero raconte ce qui ne s’explique pas, met des mots sur des émotions et des expériences que son lecteur ne peut parfois qu’imaginer. Un livre dur, mais aussi poétique et bouleversant, que l’on referme le coeur empli de tristesse et tendresse.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

Éditions Flammarion, traduit par Margot Nguyen-Béraud, 18 août 2023, 272 pages 

 

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