Les trois soeurs – May Sinclair

Trois soeurs, Mary, Gwenda et Alice Carteret, vivent en compagnie de leur père, un vicaire acariâtre et tyrannique qui se venge sur ses filles de sa frustration d’avoir été quitté par sa troisième épouse. Il semble décidé à leur rendre la vie la plus misérable possible et vient de les déraciner en raison de l’inconduite de la plus jeune, Alice, pour vivre dans une petite bourgade du Yorkshire, Garth. Leur existence morne va tout à coup connaitre une lueur d’espoir en la personne du docteur Rowcliffe, seul parti acceptable et incarnant pour elles le moyen d’échapper enfin à l’emprise paternelle. Jeune et séduisant, il va déchainer la passion dans le coeur des trois soeurs, ainsi qu’une rivalité impitoyable. Trois soeurs pour un seul homme, et trois personnalités radicalement différentes : Mary, douce et bonne (vraiment ?), Gwenda intrépide et éprise de liberté, et Alice, plus exubérante et prête à se rendre malade pour attirer l’attention du médecin.

« Il y avait certains moments où elle se faisait l’effet d’être deux femmes. L’une possédait encore la passion et le souvenir de la liberté. L’autre était une créature domptée et captive qui avait oublié, qui se guidait avec des mouvements craintifs et dont elle haïssait l’instinct de soumission. »

Tandis que l’on se demande si Rowcliffe tombera amoureux, et surtout de qui, le roman est surtout l’occasion d’explorer la condition féminine de l’époque. Accablées par leur père mais aussi par une petite communauté où les racontars et les mauvaises langues font des ravages, les trois soeurs représentent toutes ces femmes soumises au joug masculin et entièrement dépendantes des hommes pour espérer améliorer leur situation, tout en prenant garde à ne prendre aucun risque susceptible d’entacher irrémédiablement leur réputation. La romancière aborde avec finesse et modernité le désir féminin, et égratigne les relations fraternelles. Sous des apparences d’entente et d’affection, le vernis s’écaille bien vite, et chacune va tenter de sortir son épingle du jeu, certaines avec plus d’égoïsme et d’hypocrisie que d’autres.

« Il détestait de penser qu’elle pût connaître une joie quelconque qui ne trouvât pas en lui son commencement et sa fin. Cette joie l’éloignait de lui. Tant qu’elle durait il se trouvait aux prises avec une rivalité incompréhensible et monstrueuse. »

Si May Sinclair a beaucoup été comparée aux soeurs Brontë, ce roman m’a davantage fait penser à ceux de Thomas Hardy. On y retrouve ces communautés rurales passées au microscope, ces personnages féminins qui se débattent inextricablement avec leur destin tragique, et ce profond pessimisme. L’intérêt de la romancière pour la psychanalyse est évident tant le roman explore tous les méandres de la psyché humaine, en passant par la culpabilité, le sacrifice, et les regrets. J’ai préféré ce roman à Vie et mort de Harriett Frean, court récit immensément pessimiste également, dont la brièveté ne laissait que peu de temps au lecteur de véritablement s’attacher au personnage. La plume est belle, et le roman très agréable à lire, d’autant que les événements prennent une tournure inattendue, et la conclusion en est bien amère.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Archipoche, traduit par Mary-Cécile Logé, 3 avril 2019, 353 pages 

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