
Dans la lignée de Bondrée que j’avais adoré pour son atmosphère incomparable, Andrée A. Michaud signe un roman d’une noirceur étouffante, impossible à lâcher tant que le dénouement ne sera pas enfin apporté, quitte à y laisser quelques plumes au cours de la lecture.
« N’ayant encore vécu aucun drame relevant de l’inconcevable, ils étaient privés de cette lucidité qui vous vient avec l’âge, avec la rencontre du mal dans ce qu’il peut avoir de plus banal ou de plus insidieux. »
Le récit s’ouvre un 22 août, alors que trois adolescents, Judith, Abigail et Alexandre, se préparent à vivre leur première grande aventure : partir camper seuls pendant cinq jours sur le bord de la rivière Brûlée. Les parents sont inquiets mais laissent partir leurs enfants enthousiastes, qui étrennent pour l’occasion leurs tentes aux couleurs bigarrées et cachent des canettes de bière dans leurs chaussettes. Ce qui s’annonçait comme quelques jours festifs et d’une camaraderie enjouée, va rapidement tourner au cauchemar. Très vite, ils ont l’impression d’être observés. Leurs affaires semblent avoir été touchées en leur absence, bien que tout semble identique sur leur campement. Puis ils aperçoivent d’étranges signes gravés dans les troncs d’arbres. Ils ne parviennent pas à se mettre d’accord : Judith est terrifiée et souhaite rentrer immédiatement, tandis qu’Abigail refuse de céder, tenant à profiter jusqu’au bout de leur séjour prévu de longue date. Ils décident de rester encore un peu, bien mal leur en prendra…
« Elle connaissait cette exaltation du sang, quand le cœur s’emballe et qu’on éprouve la nécessité de s’éloigner de ce qui suscite les palpitations. L’homme qu’elle redoutait avait réveillé en elle cette peur du ventre, l’homme qui peut-être chuchotait. »
Ce roman conjure les peurs de l’adolescence, les histoires de fantômes au coin du feu, les bruits de la forêt assimilés aux prédateurs, nourrissant les pires cauchemars avant de se confronter à la réelle folie meurtrière. Le malaise est d’autant plus grand que le récit est extrêmement lent à se dérouler, la plus grande partie se déroulant sur cinq jours à peine. Alternant les points de vue, accumulant les mauvais pressentiments des uns et des autres, on tourne les pages le souffle coupé, impatients de savoir comment tout va se dérouler, et surtout quand cela va enfin se terminer. La romancière accorde toute sa place à la nature environnante, d’une beauté époustouflante autant qu’extrêmement oppressante, se mettant en travers de leur chemin, compromettant leurs chances de survie à chaque instant. Mais le véritable monstre est humain, et c’est bien le plus terrifiant.
Ma note (4 / 5)
Éditions Rivages, 15 mars 2023, 333 pages