Bondrée – Andrée A. Michaud

« Le cauchemar avait emporté le rêve et Bondrée n’était plus que décombres. »

Bondrée, à la frontière du Canada et des États-Unis, a longtemps été une étendue de nature, une forêt interminable abritant un lac paisible. Longtemps avant que des vacanciers décident d’en faire leur destination estivale privilégiée et commencent à y construire des chalets, un trappeur, Pierre Laudier, s’y était réfugié afin d’échapper à la mobilisation pour une guerre qui l’aurait envoyé à une mort certaine en Europe. Vivant en ermite, devenant aussi sauvage que les animaux pour lesquels il disséminait ses pièges sur les rares sentiers, il tomba passionnément amoureux d’une jeune femme venue se baigner dans les eaux du lac. Désespéré, il se pendit, donnant naissance à une kyrielle de légendes et d’histoires de fantômes que les gamins se raconteraient des années durant pour se faire peur.

« Curieusement, c’est toujours une odeur qui le ramenait à ces souvenirs, accompagnée d’un sentiment de solitude heureuse issu du parfum des fruits ou des lilas. S’il rassemblait tous ces souvenirs, son passé ne durait que quelques minutes entre lesquelles il avait l’impression de n’avoir pas existé. »

En cet été 1967, Lucy in the sky with diamonds passait en boucle à la radio et les vacanciers s’apprêtaient à passer un été sans nuages. Jusqu’à ce qu’une jeune fille, Elisabeth ou Zaza pour les intimes, jeune lolita en short échancré et à l’insouciance insolente, soit retrouvée morte dans la forêt, la jambe sectionnée par l’un des pièges oubliés du mystérieux Pierre Laudier. La police conclut à un accident, mais les événements s’enchaînent, brouillant les pistes. Le paradis devient enfer, alors que secrets et fantômes ressurgissent, racontant la folie des hommes.

Le roman adopte un rythme très lent, porté par un style incantatoire, lyrique, bourré d’anglicismes et de cette langue si particulière aux Québécois, calquant la langueur d’un été étouffant au déroulé des événements. La narration est multiple, alternant entre le point de vue de l’inspecteur Michaud, homme bourru au grand coeur mais hanté par d’anciens cas non élucidés et par cette Zaza, symbole de l’innocence décimée  ; celui des divers estivants évoluant à Bondrée ; et celui de la petite Andrée, véritable garçon manqué en quête d’aventures, qui nous offre un point de vue enfantin sur les événements, apportant beaucoup de poésie et d’émotion à un contexte somme toute assez glauque. Entre naïveté et perception intuitive des choses, elle est incroyablement touchante et la narration à la première personne, qui tranche avec les autres chapitres, nous la rend extrêmement proche, comme si nous étions nous aussi des gamins courant dans les sentiers, plongeant des deux pieds dans le lac ou examinant accroupis le jeu des feuilles et des insectes. La jeune Andrée est particulièrement heurtée par le drame qui se déroule dans son petit coin de paradis, elle qui passait ses étés à espionner en douce les deux adolescentes inséparables, Zaza et et Sissy, aux longues jambes et aux bouffées de cigarettes interminables. Le temps d’un été, désemparée par les réactions des adultes et sa première rencontre avec le Mal, elle quittera brutalement le monde de l’enfance pour celui des grands, où les illusions se brisent irrémédiablement.

« Il avait depuis longtemps compris ce que je comprendrais plus tard, à savoir que la terre n’était comme nous qu’un accident, que le corps n’était que poussière et qu’aucune volonté, divine ou autre, ne pouvait ranimer cette poussière dans un quelconque au-delà. C’est ici-bas que la poussière revivrait, au milieu de l’absurdité du monde. »

J’avoue être peu friande de polars, mais la magie de Bondrée est de nous plonger dans un réel roman d’atmosphère, et pas seulement au coeur d’un enquête policière. On se laisse envelopper par ce petite coin tranquille de vacances, qui se transforme le temps d’une nuit en cauchemar. On ressent la moiteur, l’odeur des pins, on entend les cris des enfants qui jouent et ceux des parents appelant leur progéniture à table. Malgré un tout petit bémol concernant la fin qui m’a parue quelque peu insatisfaisante, j’ai adoré ce roman onirique d’une grande puissance évocatrice.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Rivages, octobre 2017, 330 pages

Un commentaire sur “Bondrée – Andrée A. Michaud

  1. Si tu apprécies les « polars » qui sont également des romans d’atmosphère, je te conseille le roman « Dans la gueule de l’ours » de James A. McLaughlin qui est un thriller écologique dont l’atmosphère (la réserve naturelle des Appalaches) est assez prenante!

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