La huitième vie – Nino Haratischwili

« Je dois ces lignes à une infinité de larmes versées, je me dois ces lignes à moi, qui ai quitté le pays natal pour me trouver et finalement me perdre encore plus ; mais surtout, c’est à toi, Brilka, que je dois ces lignes.
Je te les dois parce que tu mérites la huitième vie. Parce qu’on dit que le chiffre huit est égal à l’infini , au fleuve de l’éternel retour. Je t’offre mon huit.
Nous sommes liées par un siècle. Un siècle rouge. A tout jamais, plus huit. C’est ton tour, Brilka. J’ai adopté ton coeur et catapulté le mien au loin. Accepte mon huit. »

Un matin de 2006, Brilka une adolescente de douze ans originaire de Géorgie, quitte l’hôtel où elle séjourne avec sa troupe de danseurs et prend un train en direction de Vienne. Sa tante, Niza, qui a depuis longtemps quitté son pays d’origine pour Berlin sans jamais se retourner, est appelée à la rescousse pour retrouver la jeune fugueuse et la ramener chez elle. Lorsqu’elle croise la route de cette nièce inconnue chez qui elle entrevoit des failles similaires aux siennes, elle décide de lui écrire l’histoire de leur famille, afin de conjurer la malédiction et donner enfin une chance à Brilka, la huitième vie de la famille Iachi, de s’affranchir du passé pour commencer sa vie avec une page blanche, riche de promesses.

« L’amour était un poison lent, insidieux, l’amour était perfide et mensonger, l’amour était un voile jeté sur la misère du monde, l’amour était gluant et indigeste, il était un miroir dans lequel on pouvait croire être autre que ce qu’on était, il était un esprit qui distillait l’espoir là où il n’y en avait plus depuis longtemps, il était une cachette dans laquelle on croyait pouvoir trouver refuge et où l’on ne se retrouvait finalement que face à soi-même, il était le souvenir flou d’un autre amour, il était la possibilité d’un sauvetage et ressemblait pour finir à un coup de grâce, il était une guerre sans vainqueur, un joyau précieux dans un tas de débris de verre coupants »

Tout commence en 1917 avec Stasia, son arrière-arrière-grand-mère. Elle est la fille d’un célèbre chocolatier, dont les recettes sont secrètes et se transmettent de génération en génération. Son seul rêve est de danser, et de participer aux plus beaux ballets à Paris, tandis que son père souhaite la marier à un officier, Simon Iachi. Entre l’amour et les rêves, Stasia va faire un choix qui aura des répercussions tout au long du siècle qui s’annonce, sans imaginer que la révolution bolchevique est sur le point de se mettre également en travers de son destin . À travers les existences de Stasia, de Christine, de Kostia, de Kitty, d’Elene, de Daria, et de Niza, se dessine cette incroyable tapisserie de destinées enchevêtrées, de myriades de décisions individuelles aux conséquences infinies. Cinq générations nous sont racontées avec une fluidité et une finesse extraordinaires, dépeignant des personnages plus attachants les uns que les autres, se débattant contre eux-mêmes et contre ces forces échappant à leur contrôle. Une saga familiale dans laquelle les rêves sont étouffés et les amours maudites, qui laisse toute sa place aux femmes, courageuses, passionnées, impertinentes, assoiffées de liberté et sans cesse rattrapées par la tragédie. Une famille peuplée de fantômes, de deuils, de déchirements, de souffrances, de haine aussi, des autres et de soi-même, ballotée comme tant d’autres par près d’un siècle d’histoire de la Géorgie, entremêlée inextricablement à celle de l’URSS. La Russie impériale dans laquelle nait Stasia aura tôt fait de laisser la place à la dictature communiste, passant de la guerre civile à la guerre mondiale, charriant son lot de persécutions, de déportations, d’assassinats et de terreur.

« Réunir ce qui s’était dispersé. Rassembler les souvenirs épars qui ne font sens que lorsque tous les éléments forment un tout. Et nous tous, sciemment ou inconsciemment, nous dansons, suivant une mystérieuse chorégraphie, à l’intérieur de ce puzzle reconstitué. »

J’ai souri, j’ai pleuré, j’ai vibré, et j’ai retenu mon souffle tout au long de ces 1200 pages d’une richesse indicible et dotées d’un souffle romanesque extraordinaire. Une épopée magistrale, un grand roman, de ceux qu’on n’oublie jamais.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

Éditions Folio, traduit par Barbara Fontaine et Monique Rival, 19 août 2021, 1200 pages 

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