
Transmettre, raconter pour combattre l’oubli, telle est la tâche que s’est donnée Suzanne Langlois lorsqu’elle répète son histoire, inlassablement, face à des classes de lycéens. Un jour une élève l’interrompt, lui posant une question inédite, déstabilisant son rythme, et brouillant ses souvenirs.
« Le camp est une régression vers le rien, le néant, tout est à réapprendre, tout est à oublier. »
Arrêtée pour son appartenance à un réseau de résistance, Suzanne devenue Mila a vingt ans lorsqu’elle fait partie des quatre-cent femmes à embarquer dans un train mi-avril 1944 direction le camp de concentration de Ravensbrück. Là elle doit rapidement apprendre les codes, les ordres aboyés en allemand, les Appells inopinés, de jour comme de nuit. Elle est enceinte : est-ce une chance ou une condamnation ? Dans le doute, elle se tait, un choix conforté par ce qu’elle entend du traitement réservé aux femmes enceintes et à leurs bébés. Elle parvient tant bien que mal à décontenancer le médecin lors de l’examen médical, cache son ventre et se concentre sur ce petit bout de vie qui grandit alors que l’horreur la plus absolue l’entoure. Alternant les phases d’espoir et de désespoir, elle est portée par l’entraide qui s’installe autour d’elle, ces femmes qui s’accrochent comme elle à cette maigre raison de survivre, malgré la maladie, la faim, la violence, la peur, la mort. Lorsqu’elle finit par accoucher, elle découvre la Kinderzimmer, la chambre des nourrissons, où les bébés meurent bien trop vite…
« Vivre c’est ne pas devancer la mort, à Ravensbrück comme ailleurs. Ne pas mourir avant la mort, se tenir debout dans l’intervalle mince entre le jour et la nuit, et personne ne sait quand elle viendra. »
C’est un roman effroyablement cru et réaliste, dont la lecture est éprouvante, mais dans le même temps bouleversante et magnifique. Avec quel talent Valentine Goby porte-t-elle dans ces pages le témoignage de ces femmes afin que leurs voix subsistent, que leurs histoires ne soient pas oubliées, que les mots continuent à célébrer leur courage et rappeler l’innommable barbarie nazie au moyen d’une écriture âpre, dépouillée, terriblement efficace. Un roman qui oscille en permanence entre laideur et beauté, entre désespoir et rage de vivre, entre haine et solidarité.
Ma note (4 / 5)
Éditions Actes Sud, mars 2015, 240 pages
Je viens de lire « L’île haute » : je découvre cette magnifique plume par un versant un peu plus doux même si le livre raconte la découverte de la montagne par un enfant juif envoyé loin de ses parents pour sa sécurité.