Point de fuite – Elizabeth Brundage

Après le magistral Dans les angles morts, j’étais impatiente de découvrir enfin le nouveau roman d’Elizabeth Brundage, et le thème de la photographie s’annonçait très prometteur.

« Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre que la vérité était aussi variable que la lumière. Elle se déplaçait et s’éclairait en fonction des circonstances. »

Julian Ladd tombe un soir sur un journal annonçant la disparition du célèbre photographe Rye Adler. Le passé remonte alors à la surface, et il se souvient de l’époque où ils suivaient tous deux des cours à l’atelier Brodsky et partageaient un appartement. Rye faisait déjà sensation parmi les étudiants, tandis que les photos de Julian, incomprises, restaient dans l’ombre. Une rivalité professionnelle qui se doublait d’une rivalité amoureuse, puisque tous deux étaient tombés sous le charme de Magda, une belle immigrée Polonaise remarquée pour son talent à photographier les femmes de son quartier. Vingt ans plus tard, si Rye qui a fait une éclatante carrière tandis que Julian s’est reconverti dans la pub, c’est finalement ce dernier qui a conquis Magda,  avec qui il a eu un fils, Theo. Tandis que les journaux font leur une sur Rye et son présumé suicide, bien que son corps n’ait toujours pas été retrouvé, Theo s’est enfui, prisonnier de son addiction à l’héroïne et vivant dans la rue avec ses compagnons d’infortune…

« Il faut disparaitre pour faire de bonnes photos.
Il faut quitter sa vie, s’en détacher complètement.
Il faut s’enfoncer dans les bois, seul, et être prêt à s’égarer.
Accepter de tomber dans l’oubli. »

Alternant les voix, le roman débroussaille des années de rivalité, de secrets, de vies conjugales, tantôt entre Rye et sa femme Simone, tantôt entre Julian et Magda. Filant la métaphore de la photographie et de son jeu d’ombres et de lumière, il dresse le portrait d’une société en déclin, tout en illustrant la quête de sens de chacun des personnages, qui sont à un tournant de leur vie. Tous s’interrogent, reviennent sur leurs pas, évoquent leurs erreurs et leurs regrets, cherchent une manière de continuer en étant plus fidèles à eux-mêmes. En toile de fond, sans que de réels détails nous soient données, ni d’ailleurs une époque précise, on apprend que la « fin du monde » approche et que les actualités regorgent d’attentats, de catastrophes naturelles, et autres signes de déliquescence de la Terre et de décadence de l’humanité, qui d’ailleurs demeurent largement inexploités à mon goût, à tel point que je me suis demandé ce que ces aspects apportaient réellement à l’histoire.

« Parfois le monde lui était presque insupportable. Rien que le soleil qui palpitait, hurlait, rien que les immeubles, les lignes sombres, les vieux entrepôts le long du fleuve, ou les couches de vent et de nuages, si gris et bas, sur le point de crever, anticipant la douleur. »

Si l’on retrouve dans ce roman le talent d’Elizabeth Brundage pour distiller des indices sur la psychologie de ses personnages, j’ai ressenti une légère déception par rapport à Dans les angles morts. Je l’ai trouvé plus banal, moins fascinant et complexe, dépourvu de cette atmosphère de tension et de mystère qui fonctionnait si merveilleusement avec son précédent roman, et avec des personnages qui manquaient quelque peu d’épaisseur. On tombe un peu trop dans le cliché de la rivalité masculine alimentée par des ego surdimensionnés, et des femmes esseulées contraintes de faire avec des hommes dysfonctionnels. Une lecture en demi-teinte donc, c’est un roman qui se lit très bien, mais qui n’a pas entièrement répondu à mes attentes.

Ma note 3 out of 5 stars (3 / 5)

Éditions La Table Ronde, traduit par Cécile Arnaud, 25 août 2022, 384 pages 

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