
« La vie est incommensurablement longue, aussi longtemps qu’on est jeune encore. »
Dans ce court roman d’apprentissage aux allures de conte, un adolescent quitte son foyer et la femme qui l’a élevé à la mort de ses parents pour se rendre chez un oncle inconnu, qui vit seul barricadé dans un ancien monastère, sur une île entourée de montagnes. Malheureux à l’idée de quitter ceux qu’il aime et a toujours connus, incertain quant à son avenir, Victor se plie aux désirs de ce parent étranger. Arrivé sur l’île, il est surpris de l’austérité de son oncle ainsi que de sa demeure. Toutes les portes sont fermées à clés, les fenêtres pourvues de barreaux, la maison entourée d’une muraille de pierre. L’homme lui-même est peu aimable, lui demandant seulement de se présenter à l’heure aux repas sans condescendre à expliquer au jeune garçon la raison pour laquelle il l’a fait venir. Peu à peu, Victor, déconcerté par la tournure des événements, tourne en rond seul sur cette île, malgré la compagnie de son vieux chien. Serait-il prisonnier ?
« Voilà comment vivaient ces deux bourgeons issus d’un même rameau, deux êtres que tout aurait dû rapprocher et unir et que tout éloignait : deux bourgeons du même rameau, mais si différents l’un de l’autre. Victor, lui, était l’aube éclatante et libre, avec son regard rayonnant de douceur, son ouverture au futur ; l’autre était le déclin, au regard abattu, le passé douloureusement imprimé sur chaque trait, en caractères tantôt de jouissance tantôt d’envie. »
Le récit devient alors un huis clos déroutant entre deux êtres que tout opposent, un adolescent gai et affectueux, et un vieillard semblant avoir perdu toute faculté d’aimer. L’un est focalisé sur son présent et son avenir, l’autre regarde avec amertume son passé. Les journées s’égrènent lentement, quasiment à l’identique, dans un silence assourdissant. Pourtant, cette rencontre va se transformer en précieuse leçon sur la brièveté de la vie et la nécessité d’avoir accompli tout ce qui était possible et souhaité avant d’être âgé, isolé et empli de regrets. La splendeur de l’écriture, bien que fort simple en apparence, étreint le lecteur, tandis que le tableau de l’île se déploie sous ses yeux, au gré des pérégrinations de Victor. Peu à peu, cette solitude contrainte lui fait entrevoir les choses sous un jour nouveau, l’enjoignant à trouver des joies dans de petites choses, et à prêter peut-être davantage d’attention à ce que souhaite lui révéler son hôte étrange. Une jolie parabole, tout en émotion retenue, sur le sens de la transmission et de ce que signifie réellement une vie heureuse.
Ma note (4 / 5)
Éditions Libretto, traduit par Georges-Arthur Goldschmidt, 20 janvier 2011, 160 pages