Le Festin – Margaret Kennedy

« – Vous ne voulez pas regarder la vie en face.
– Pas dans les livres, non. Je la regarde bien assez en face du lundi au samedi, sans avoir à lire des histoires là-dessus. »

Quelle déception pour le révérend Seddon lorsqu’il doit renoncer à faire sa partie d’échecs tant attendue avec son vieil ami le père Bott ! Ce dernier est en effet préoccupé par la rédaction d’une oraison funèbre d’une ampleur inaccoutumée : un petit hôtel familial vient de disparaître écrasé sous l’éboulement de la falaise qui le surplombait, emportant également ses résidents.

« Ces gens aux situations sans issue semblaient se complaire dans leur malheur. Elle aurait voulu rester seule et regarder s’allumer les étoiles. »

Les vacances avaient pourtant bien commencé pour ces pensionnaires, qui s’étaient offert des vacances au bord de la mer dans les Cornouailles, désireux d’oublier les privations de la Seconde guerre mondiale. Les propriétaires de cette maison familiale reconvertie en hôtel, désargentés et divisés, voient ainsi défiler sous leur toit toute une galerie de personnages plus excentriques les uns que les autres. Le récit déroule minutieusement la semaine précédant le drame, alternant les modes de narration et les points de vue, prenant des airs de vaudeville mi-comique mi-cruel, sans compter un certain suspense à la Agatha Christie, puisque si l’accident est établi dès les premières lignes, le lecteur, en apprenant à connaître petit à petit les occupants de cette pension de famille, se surprend à tenter de deviner qui seront les victimes de ce qui ressemble à une punition divine.

« Chacun s’était retiré, comme un animal se retire au fond de sa cage avec son os, pour ronger quelque idée fixe. Et cela lui faisait peur. Elle ne pouvait plus supporter d’être enfermée dans ce sombre repaire de bêtes étranges. Elle eut envie de sortir, de quitter l’hôtel, d’aller se réfugier sur les falaises. Elle se leva et quitta la pièce. Personne ne remarqua son départ. »

À une époque où la société anglaise vit encore de rationnements et de coupons, où les tensions politiques s’exacerbent et les difficultés financières s’amoncellent, Margaret Kennedy signe une satire grinçante des vices de ses contemporains.  Incarnant les sept péchés capitaux, les personnages forment un ensemble très hétéroclite et chacun révèlera son âme, pour le meilleur et pour le pire. Certains sont en effet détestables, telle cette veuve, usufruitière de la fortune de ses enfants et qui attend désespérément leur mort pour en hériter, les privant de tout dans l’intervalle. Ou encore ce chanoine hargneux qui rend la vie impossible à la seule de ses filles, une créature maigrichonne et timorée, qui a accepté de s’occuper de lui. Ou enfin cette terrible Miss Ellis, une intendante qui n’en a que le nom puisqu’elle refuse de travailler et préfère médire sur son entourage. D’autres personnages au contraire, malmenés, s’attirent immédiatement la sympathie du lecteur, comme Gerry, l’un des fils de la famille propriétaire de l’hôtel, mal-aimé des siens et exploité afin de financer les études de ses frères ; Nancibel, la bonne au coeur tendre ; ou encore la touchante Mrs Paley, dont le deuil a creusé un fossé avec son mari, et qui décide de s’autoriser à revivre en apportant son aide aux autres. Sur fond de carte postale idyllique, ces vacances vont mettre les nerfs des pensionnaires à rude épreuve : tandis que les secrets remontent à la surface, des alliances se nouent, des projets d’avenir s’esquissent, et surtout, aucun de leurs petits travers n’est épargné.

Une comédie sociale piquante et savoureuse aux allures de fable, à la construction atypique, et qui mêle brillamment humour british et tendresse.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions de la Table Ronde, traduit par Denise Van Moppès, 3 mars 2022, 480 pages 

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