Léviathan – Julien Green

« Dans les souvenirs qui lui revenaient à présent, il ne trouvait plus que l’amertume des premières déconvenues, les misères d’une réalité avare, l’horreur des paroles, des gestes, de l’argent donné et reçu sans un mot; puis le mariage, ses blessures et ses rancunes, la patience qu’il fallait déployer pour vivre tous les jours avec un être dont il était las depuis des années, l’empoisonnement graduel de sa vie entière. »

Julien Green introduit ici un anti-héros, Paul Guéret, un homme terne, découragé, et mal marié à une femme qu’il méprise. Il vient d’arriver dans une petite bourgade rurale et officie en tant que précepteur. Son chemin croise celui d’Angèle, une jeune blanchisseuse qui n’a pourtant rien d’angélique, dont il s’éprend jusqu’à l’obsession, la poursuivant de ses assiduités maladroites tandis qu’elle persiste à le repousser. Lorsqu’il apprend qu’elle se vend en réalité à tous les hommes de la ville, la colère le fait commettre l’irréparable. Si Guéret est celui par qui tout arrive, il n’y a pas véritablement de protagoniste dans cette histoire, mais plutôt un tableau vivace d’un huis clos rural oppressant, aux bords de la folie, entre la bourgeoisie provinciale qui s’ennuie, les cancans des femmes qui ne vivent que par procuration et les rancoeurs de ceux qui comptent leurs sous pour s’enfuir au plus vite de cette existence étriquée et asservie. Tous ont en commun une désillusion profonde, une détestation de l’insignifiance de leur existence, et la frustration face à un destin qui leur échappe.

« Avec la naïveté d’une enfant, elle mettait toute sa confiance dans un avenir immédiat, bien que journellement l’avenir démentît ses promesses d’hier ; au destin responsable d’un passé sans joie, d’un présent abominable, elle pardonnait tout – il le fallait bien –  pourvu qu’il lui laissât cette foi rageuse que léguait dimanche à lundi, lundi à mardi, et ainsi de suite jusqu’au jour où on la visserait dans une boîte noire, elle et les extravagances de son pauvre coeur. »

Si on renoue dans cette oeuvre de jeunesse avec la plume magistrale de Julien Green, on est bien loin des personnages charismatiques et du romanesque déployé dans la saga des Pays lointains, bien qu’on y retrouve sa fascination pour le Bien et le Mal. Que de déchainements dans ce petit roman, qui nous entraine dans l’Enfer des plus sombres passions humaines. Julien Green explore les méandres psychologiques avec une acuité folle, qui rappelle parfois Crime et Châtiment de Dostoievski. Le Léviathan, c’est ici le mal qui se trouve en chacun des personnages de cette histoire, tous fort peu sympathiques et entièrement mus par leurs désirs et leurs frustrations. Un roman noir qui libère les monstres et abandonne tout espérance.

« Étrange parcimonie du temps qui répartit nos maux sur les heures et les jours et ne nous en donne qu’un peu à la fois comme pour ne pas nous tuer trop vite. »

Ma note 3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

Éditions Livre de Poche, 25 mai 2005, 352 pages

Un commentaire sur “Léviathan – Julien Green

  1. Merci pour cette chronique, je ne connaissais pas du tout. A te lire, cela pourrait peut-être me plaire, je prends donc note 😉
    Je te souhaite une belle journée !

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