
Miss Mackenzie est une vieille fille, comprenez qu’elle a atteint le vénérable âge de trente-cinq ans dans une société victorienne où les espoirs de mariage s’amenuisent pour les femmes dès qu’elles sortent de l’adolescence. Sa vie a été bien terne, puisqu’elle s’est chargée de soigner son père, puis son frère pendant de longues années, sans avoir fréquenté la société, le moindre ami, et en étant par ailleurs affligée d’une famille plus qu’acariâtre. Lorsque ce frère auquel elle a prodigué tant de soins finit par mourir, elle a la surprise, comme tout le monde, de constater qu’il lui a légué l’intégralité de sa fortune. De quoi faire grincer des dents son autre frère et son épouse qui ont eu le malheur de perdre leur argent dans le commerce de la toile cirée, ou encore la famille de son oncle, un baronnet qui espérait voir revenir cet héritage entre leurs mains. Mais cette fortune inespérée va très vite également faire surgir de tous côtés des prétendants bien empressés.
« La vérité est trop évidente. La vie d’une femme n’est ni parfaite, ni complète tant qu’elle ne s’est pas ajoutée à un mari. »
Tout au long de ce récit, l’auteur s’amuse à souligner les subtilités hypocrites des conventions et de la hiérarchie sociale, ainsi que la méconnaissance totale des hommes de ce qui peut réellement toucher le coeur d’une femme. Si Miss Mackenzie a bien peu l’habitude d’obtenir de telles faveurs, elle est suffisamment fine néanmoins pour deviner dans les demandes en mariage qui lui sont faites un appât du gain fort mal déguisé. Pour autant, son âge avancé n’a pas encore racorni son coeur, et elle est bien décidée à se saisir de sa part de bonheur, à rattraper le temps perdu dans les chambres de malades, et pourquoi pas après tout, à se marier par amour. La voilà donc prenant son destin en main, jaugeant les hommes qu’elle croise, s’interrogeant sur sa place dans la société et quelles fréquentations valent mieux que d’autres, tout en s’efforçant de faire au mieux pour une famille qui lui cause pourtant bien des tracas. Malheureusement, les propositions maritales qui lui sont faites ne semblent être que le début de ses soucis, à mesure que l’intrigue s’épaissit et que sa situation devient dangereuse.
« Ce qu’elle voulait, c’était une compagnie, et un peu d’amour si possible ; mais sinon l’amour du moins l’amitié. Si elle avait su où s’en procurer sans danger, elle y aurait volontiers consacré toute sa fortune. »
Anthony Trollope n’est pas l’auteur victorien que je préfère, son cynisme et sa misogynie transparaissant quelque peu dans ses écrits. Néanmoins, il faut lui reconnaitre une maitrise parfaite de son récit, une psychologie impeccable dans les contours donnés à ses personnages, et une intrigue qui, malgré quelques longueurs, oscille à merveille entre humour et rebondissements. Tout cela concourt à construire un portrait évocateur de la femme à l’époque victorienne, considérée comme quantité négligeable tout en étant entièrement soumise à la puissance masculine, aux aléas du sort, et au bon vouloir d’une famille bien plus cupide que bienveillante. S’il manque l’émotion ainsi que la richesse sociale et psychologique que j’aime retrouver chez d’autres Victoriens, ce roman m’a beaucoup plu, a contrario du Docteur Thorne que j’avais trouvé terriblement ennuyeux, et m’a réconciliée avec la plume de l’écrivain.
Ma note (4 / 5)
Éditions Livre de Poche, traduit par Laurent Bury, 13 octobre 2010, 512 pages
Très belle chronique d’un livre qui est dans liste de mes envies ! en te lisant, cela me donne encore plus envie de le lire 🙂 il fera certainement partie de mes prochains achats livresques.
Bonne journée !