
Quelques mois après la découverte de la saga des Cazalet avec le premier tome, « Étés anglais », quel plaisir de se plonger enfin dans la suite et de retrouver cette famille si attachante !
« Le chagrin fait vieillir. »
Le ton dans ce deuxième tome est d’office plus sombre. Alors que l’Europe bascule dans ce qui deviendra le second conflit mondial, la famille a fermé les maisons londoniennes pour se regrouper à Home Place, dans le Sussex. La plupart des hommes sont mobilisés, tandis que les femmes tentent de se rendre utiles comme elles peuvent, tout en veillant sur les enfants. Comme dans le volume précédent, la narration oscille d’un membre à l’autre de la famille Cazalet, balayant les espoirs et les préoccupations de chacun : le Brig et la Duche, les chefs de famille ; puis les trois couples formés par Hugh et Sybil, Edward et Villy, ainsi que Rupert et Zoe ; vient ensuite Rachel, la seule fille de la fratrie et célibataire. Néanmoins, contrairement au précédent, les adultes se trouvent dans ce roman bien souvent au second plan.
« Elle éprouva un instant de bonheur si pur et si parfait qu’elle eut l’impression d’être assiégée – incapable de bouger. Imperceptiblement le moment passa, glissa dans le passé, tandis que les choses reprenaient leur cours avec leur monotonie familière. »
Cet opus met en effet en lumière tout particulièrement les cousines Louise, Polly et Clary, s’attachant aux états d’âmes de ces trois adolescentes. Elles ne sont plus des enfants, mais pas tout à fait des adultes non plus, et elles vacillent dans cet entre-deux insatisfaisant. Toutes les trois désespèrent d’être traitées avec davantage de sérieux, d’être enfin mises dans les confidences, d’obtenir des réponses à leurs multiples questions sur la vie qui les attend. À dix-huit ans, Louise est devenu une jeune femme, même si elle demeure immature à bien des égards. Elle entretient de mauvaises relations avec sa mère, Villy, et est donc dépourvue d’un soutien maternel qui l’aiderait à se faire une place en tant que femme dans la société et à comprendre ce qui est attendu d’elle. Sortie de son cocon familial pour étudier dans une école d’arts ménagers, puis une école de théâtre, elle pose sur les relations humaines un regard foncièrement naïf et désarmé. Sa solitude, ses interrogations, ses souffrances sont poignantes et magnifiquement retranscrites. Clary et Polly quant à elles, ont au moins la chance d’être présentes l’une pour l’autre, malgré le mauvais caractère de Clary, qui souffre de l’absence de son père, parti au front, et appréhende de devoir à nouveau faire le deuil d’un de ses parents. Son caractère s’est encore davantage affirmé, elle est déterminée à devenir écrivaine, s’inspire de tout ce qu’elle voit, est franche et brusque, convaincue d’être laide et accordant peu d’importance, du moins en façade, à ce que l’on peut penser d’elle. Polly est son exacte opposée, douce et d’une générosité sans bornes, et son bon coeur va être mis à l’épreuve pendant ces premières années de guerre. On est frappé par la lucidité de cette jeune fille de seize ans sur le monde qui l’entoure, par sa compréhension instinctive des rapports humains, à commencer par la relation entre ses parents, qui s’obstinent à cacher leurs secrets mutuels afin de mieux préserver l’autre. À travers Louise, Polly et Clary, Elizabeth Jane Howard nous offre un tableau d’une grande finesse psychologique de tous les tourments de l’adolescence, en particulier ceux réservés aux jeunes filles. Le corps qui change, le rapport aux hommes, les perspectives d’avenir d’une femme dans la société anglaise de l’époque, la confrontation à la mort et la solitude, mais aussi cette subite prise de conscience : ces parents si idéalisés, si parfaits, s’avèrent finalement plus humains que ce qu’elles avaient conçu jusqu’alors, et deviennent à leurs yeux des individus à part entière avec leurs désirs propres et leurs failles.
« Le présent semblait gris ; l’avenir noir. Elle vivait dans un brouillard de terreur. »
J’ai adoré ce deuxième tome, à bien des égards beaucoup plus triste que le premier. Les personnages, que l’on connait mieux, ont pris de l’épaisseur, les thèmes abordés sont d’une grande justesse et surtout le récit a énormément gagné en profondeur. J’ai lu certaines pages le coeur serré par l’émotion à mesure que je découvrais le sort réservé à l’un ou à l’autre, et j’ai été époustouflée par la capacité de la romancière à entremêler le cadre familial au grand dessein national. Elle nous plonge dans l’intimité d’une famille dans ses moindres détails, ses petits et grands drames comme ses joies, tout en l’insérant dans un contexte plus large, celui d’un conflit meurtrier et angoissant. Le point de vue ici étant essentiellement celui de ceux « qui restent », les enfants et les femmes, on découvre que la guerre est une chose longue, faite d’attente, d’ennui et de manque, où l’on s’accoutume parfois mieux aux terribles bombardements qu’au rationnement et à l’absence. C’est débordant d’humanité et d’une tendresse teintée de mélancolie. L’attente avant le troisième tome qui paraitra en mars 2021 promet d’être longue…!
Ma note (5 / 5)
Éditions de la Table Ronde, traduit par Cécile Arnaud, 8 octobre 2020, 608 pages
Le portrait de famille gagne en finesse et en profondeur, je suis entièrement d’accord. J’ai moi aussi adoré ce deuxième tome, certes plus sombre mais encore plus intelligent qu’Étés anglais 🙂
Il faut absolument que je lise cette saga qui me tente depuis la sortie du premier tome ! Mais il y a tant de livres à lire…
J’adore cette série de romans, ça fait plusieurs années depuis je les ai lu. Peut-être c’est le temps de les relire. Merci pour le rappel.