Ailleurs, en ce pays – Colum McCann

« Tout doit mourir en ce pays. »

Ce court recueil de trois nouvelles est un condensé des souffrances irlandaises à l’époque des Troubles. Il offre des scènes d’un quotidien ancré dans l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’Irlande. Les trois nouvelles sont marquées par le deuil, le secret, la peur, la honte, la misère. Toutes renferment une tension sourde, et Colum McCann, en quelques phrases, nous plonge dans la banalité de la tragédie.

« Il songea qu’il était l’enfant de deux pays, les mains dans le noir de deux poches vides. »

La première nouvelle semble tout d’abord nous offrir une scène relativement anodine de l’Irlande rurale. Une jeune fille vit seule avec son père marqué par le deuil et la haine de l’ennemi anglais, et tente de sauver leur jument coincée dans la rivière. La seconde nouvelle accompagne cette fois une mère et son fils, oeuvrant en secret, des nuits durant, à la fabrication de hampes destinées aux défilés orangistes. Enfin, la dernière et plus longue nouvelle, met en scène un jeune adolescent de treize ans et sa mère, qui viennent de poser leur caravane dans la région de Galway, tentant de s’éloigner des émeutes meurtrières de leur Derry natal. Dans ce refuge éloigné, ils suivent quotidiennement la grève de la faim de l’oncle du garçon, emprisonné au Nord. Ces grèves de la faim, dont la figure emblématique était Bobby Sands, ont représenté la dernière forme de protestation des prisonniers républicains irlandais (après le blanket protest et le dirty protest). Agité par les changements de l’adolescence, révolté contre le sort menaçant son oncle et admiratif devant le courage de ces hommes prêts à tout, le « gamin » oscille entre haine, honte, impuissance et tristesse.

« Quand tu grandiras, tu apprendras que la douleur n’est pas vraiment une surprise. »

Trois textes courts mais incroyablement puissants, servis par un style ciselé et fluide, qui immergent le lecteur dans le désespoir ambiant irlandais et offrent des portraits d’adolescents complexes, porteurs de questionnements et d’espoir, écrasés par le poids d’un héritage fait de haine et de rébellion. Il est sans doute nécessaire de connaître un peu l’histoire de l’Irlande pour apprécier et s’imprégner de ces nouvelles qui ne rentrent jamais dans des explications historiques ou politiques. Je dois avouer que je suis un peu restée sur ma faim, le recueil m’a paru trop court, et j’aurais souhaité parfois plus de densité. Malgré tout c’est un splendide aperçu de l’immense talent de Colum McCann, qui donne à voir un pan essentiel de l’identité irlandaise, mêlée de lumière et de noirceur.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

 

Éditions 10/18, traduit par Michelle Herpe-Voslinsky, 4 septembre 2003, 144 pages

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