Expiation – Ian McEwan

« À quel point la culpabilité raffinait-elle les façons de se torturer, enfilant les perles du détail en une boucle sans fin, un chapelet à égrener pour la vie ! »

Briony, treize ans, petite dernière d’une famille anglaise aisée et enfant chérie de sa mère, se rêve romancière. Elle pose de ce fait sur le monde un regard teinté de mélodrames et d’intrigues, laissant libre court à son imagination débridée et cherchant sans cesse à donner une couleur romanesque à tout ce qui l’entoure. C’est ainsi que, tout au long d’une journée caniculaire d’août 1935, elle va assister à plusieurs scènes se déroulant entre sa grande soeur, Cecilia, et Robbie, le fils d’une de leurs domestiques. De confusions en malentendus, naïve, inexpérimentée et non avertie des complexités inhérentes aux relations adultes, Briony va surprendre les deux jeunes gens et se méprendre sur la nature de ce qu’elle observe. Une erreur aux conséquences dramatiques.

« Aucun de ces trois-là n’était mauvais, non plus qu’ils étaient spécialement bons. Elle n’avait pas besoin de juger. Il n’y aurait pas nécessairement de morale dans cette histoire. Il lui suffisait de montrer des esprits distincts, aussi vivants que le sien, bataillant avec l’idée d’esprits non moins vivants. Ce n’était pas seulement le vice et l’intrigue qui rendait les gens malheureux, c’était la confusion et le malentendu ; et par-dessus tout l’incapacité d’appréhender la simple vérité que les autres étaient aussi réels que soi. »

La narration m’a happée dès les premières lignes, alors qu’une bonne moitié du roman se déroule pourtant sur une seule journée, voire une seule soirée. Les points de vue sur un même événement se multiplient à mesure que nous comprenons peu à peu ce qu’il s’est passé, renforçant le caractère tragique et inéluctable de l’erreur commise par Briony. Le temps s’écoule lentement et une certaine angoisse diffuse progresse. La seconde partie du roman, qui retrouve les différents protagonistes cinq ans après les faits, m’a en revanche un peu moins plu, j’y ai déploré parfois quelques longueurs et un peu trop d’insistances sur les atrocités de la guerre.

« La clarté de tout ce qu’elle voyait, touchait ou entendait n’était certainement pas suggérée par le renouveau et la profusion d’un été précoce ; c’était la brûlante conscience d’une conclusion qui approchait, ou d’événements qui convergeaient vers un point final. Ces jours étaient les derniers, elle le pressentait, et ils brilleraient dans sa mémoire d’une façon particulière. Cette luminosité, cette longue série de journées ensoleillées étaient une dernière folie de l’histoire avant qu’une autre période ne s’installe. »

Dans la seconde moitié du roman, il y a en effet un bond dans le temps : nous sommes au beau milieu du second conflit mondial, l’armée anglaise est en déroute à Dunkerque, et Londres se prépare aux raids aériens allemands à venir. Briony, Cecilia et Robbie évoluent dans ce contexte historique où les individus se retrouvent broyés dans la grande machine de guerre étatique. Ils portent tous encore les stigmates du passé, en particulier Briony, qui cherche la rédemption, ayant pris conscience de l’étendue des conséquences de ses agissements d’enfant. Arrivera-t-elle à expier son crime et à réparer ses torts ?

« Par le biais de symboles tracés à l’encre sur une page, elle était capable de faire passer réflexions et sentiments de son esprit à celui de son lecteur. C’était un processus magique, tellement banal que personne ne s’en étonnait plus. »

Ian McEwan aborde de façon remarquable l’essence du travail de l’écrivain, avec de longues réflexions sur l’inspiration, le pouvoir de la fiction, ou encore le rôle expiatoire  de l’écriture. Mais ce sont également des pages explorant sans détours et avec une très grande justesse les méandres de la culpabilité et le poids du mensonge. On y retrouve cette notion de crime d’enfance qui était déjà présente dans Le Messager de L.P. Hartley et que je trouve passionnante. Un roman brillant, servi par une plume extrêmement habile à retranscrire les pensées de chacun de ses personnages. La fin opère un twist inattendu et percutant, venant parachever un roman d’une grande finesse psychologique. À noter enfin qu’il a fait l’objet d’une adaptation très fidèle de Joe Wright en 2007.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

 

Éditions Folio, traduit par Guillemette Belleteste, 24 février 2005, 496 pages

11 commentaires sur “Expiation – Ian McEwan

  1. Ce livre est une merveille, comme beaucoup de livres de cet auteur d’ailleurs !
    Du coup j’ai envie de découvrir « le messager », que j’ai dans ma bibiothèque sans l’avoir jamais lu, honte à moi … (avec en couverture la très, très belle Julie Christie !)

    1. Ouh une couverture vintage alors ! 😉 Il a un côté un peu plus désuet qu’Expiation, ça donne beaucoup de charme au récit

  2. Moi aussi j’avais bien aimé le roman et l’auteur que j’ai découvert avec cette lecture. C’est toujours un peu particulier une première fois réussie avec un auteur. Après ça n’est jamais tout à fait pareil. .. Mais le dernier livre que j’ai lu de lui « dans une coque de noix  » m’a beaucoup plu : drôle et cruel.
    Merci encore de vos articles que je lis attentivement. Anne

  3. C’est le livre en 2007 (déjà! que le temps passe vite!) qui m’a fait connaître ce livre. Je le trouve magnifique et la plume de Ian McEwan est superbe! Ce livre restera toujours mon préféré de lui car il m’a permis de découvrir cet auteur. Tu me donnes envie de le relire!

    1. C’est souvent celui qui revient en premier effectivement, mais c’est drôle ce n’est pas mon préféré… Peut-être parce que j’ai vu le film avant justement, cela a biaisé mon avis

  4. J’ai tellement aimé la structure narrative de ce roman. Je pense que j’ai tout aimé. Comme Amélie, c’est mon préféré de lui.

    1. La deuxième partie m’a vraiment un peu frustrée, je trouvais la première tellement bien menée, psychologiquement intelligente. Le décalage m’a dérangée ensuite

  5. je ne l’ai jamais lu car j’ai vu le film que j’ai adoré du coup je n’aime pas « revenir en arrière » mais l’histoire est effectivement très forte !

    1. Oui je vois ce que tu veux dire, c’est toujours compliqué de lire un roman alors qu’on en a déjà vu l’adaptation…

  6. J’ai énormément aimé cette description fine des sentiments humains. Le film est très fidèle au roman et même si j’ai préféré ma lecture, je l’ai regardé avec plaisir.

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