
« Le passé est un pays étranger : on y fait les choses autrement qu’ici. »
Un homme au crépuscule de sa vie retombe sur un vieux journal, rédigé en l’an 1900. Il se souvient alors de ce fameux été, l’été de ses treize ans, où il fut invité par un de ses camarades de classe dans une grande demeure du Norfolk. La tragédie qui s’y déroula alors changea sa vie, le condamnant à la solitude, aux regrets et à l’isolement. Que de mystère dans ces premières pages, qu’a-t-il bien pu arriver de si grave à un jeune garçon ? À l’aide de son journal pour combler sa mémoire défaillante, Léon Colston se replonge dans cette période si caractéristique de l’enfance. Les sensations sont les premières à revenir, il se souvient avoir été fasciné par la chaleur extraordinaire de cet été-là, et d’avoir guetté le thermomètre tous les matins. Et petit à petit, les événements se déroulent.
« Avant mon arrivée à Brandham Hall, mes rêves éveillés étaient peuplés d’êtres fictifs qui se comportaient comme je le voulais. À Brandham Hall, ils étaient hantés par des personnes vivantes qui étaient des êtres supérieurs aussi bien dans le monde de la réalité que dans celui de l’imagination. »
Ce qui frappe dans ce récit c’est le contraste entre l’immaturité du jeune Léon, et la sagesse et la perspicacité acquises par le Léon âgé. Le drame qui s’est déroulé l’a hanté toute sa vie, mais son regard d’enfant avait donné une dimension toute particulière aux événements, et il manquait alors l’objectivité raisonnable pour démêler le sens de ce qu’il s’était passé. En 1900, année de toutes les promesses, Léon était encore un petit garçon qui ne saisissait pas grand chose du monde des adultes. Il vivait partagé entre chimères et réalité, persuadé qu’il était capable de jeter des sorts et d’influencer le cours des choses. En arrivant à Brandham Hall chez ses hôtes, il doit non seulement affronter un monde d’adultes, mais aussi une classe sociale plus élevée que la sienne et à laquelle il n’est pas habitué. Lui qui vit seul avec sa mère et peu de ressources, le voilà au milieu d’une famille d’aristocrates secs et à cheval sur leurs principes. Très vite il est mal à l’aise, ignorant les codes qu’il convient de respecter et sensible aux moqueries dont on l’afflige. Sa tenue vestimentaire, sa prononciation, ses manières, rien n’est tout à fait à la hauteur, et Léon est partagé entre la fascination et la honte. Il ouvre sur tout ce qui l’entoure des yeux éblouis, tenant de comprendre les enjeux qui se trament, posant des questions, cherchant à plaire. Il est en particulier immédiatement attiré par Marian, la grande soeur de son ami Marc. Elle est aimable avec lui, le couvre d’attentions, et devient rapidement une figure d’adoration pour le petit garçon.
« Mais plus rapide avait été ma course planétaire, plus mon orbite s’était rétrécie, tant et si bien que je n’étais aujourd’hui qu’un moucheron fou qui tournoyait vertigineusement autour d’une lampe dans une rue sombre : dans la nuit de mon ciel dépeuplé, il ne restait plus qu’une étoile flamboyante, où j’allais me brûler. »
Un jour Marc tombe malade et Léon erre désoeuvré dans les pâturages environnants. Par un concours de circonstances, il va se trouver chargé de porter des messages entre sa chère Marian et Ted Burgess, un fermier du voisinage. Si le lecteur devine très vite la teneur d’une telle correspondance, Léon fait bien évidemment preuve de la plus grande naïveté, ravi d’être distingué et de rendre service à l’objet de son admiration. Ce thème de l’incompréhension des choses de l’amour chez les jeunes enfants, et les conséquences que cela peut entraîner, m’a bien sûr tout de suite fait penser à Expiation de Ian McEwan, qui ne cache d’ailleurs pas s’être inspiré du roman de L.P. Hartley.
Ce roman retranscrit avec finesse le débordement d’émotions qui caractérise ce passage délicat entre enfance et adolescence, cette naïveté et soif de découvrir, ces premiers pas maladroits dans les complexités des rapports humains. Il y a une tension qui s’installe dès le début du roman, à l’annonce du drame à venir, et une certaine gravité dans le récit de cette désillusion qui marqua toute une vie. On sentirait presque la chaleur écrasante qui étouffa les invités de Brandham Hall autant que les activités réglementaires de baignade, de crickett, et d’interminables cérémonies du thé. Mais dans le même temps, le roman est aussi extrêmement poétique, depuis la description des sentiments bercés d’innocence de Léon, jusqu’à celle de la nature environnante. Un été lumineux et troublant qui laisse une empreinte forte. Ce magnifique roman typiquement british avait été porté à l’écran en 1971 dans un film devenu culte, que je vous recommande également !
Ma note (4 / 5)
Éditions Belfond, traduit par Andrée Martinerie et Denis Morrens, 18 avril 2019, 400 pages