
Résumé :
Dans la grande tradition du roman sudiste, La Couleur pourpre, qui dénonce l’oppression raciale et sexuelle dont furent victimes les femmes noires, a fait date. Celie et Nettie sont deux soeurs séparées à l’adolescence mais liées par un amour indéfectible que ne terniront ni les brimades ni le mépris, ni les guerres ni l’absence. Celie, mariée enfant à un homme violent, ne reçoit pas les lettres que lui adresse Nettie, devenue missionnaire en Afrique, car son mari les subtilise. Ignorant l’adresse de sa soeur, elle-même envoie ses lettres au Bon Dieu. Une correspondance sans espoir de réponse. Une correspondance qui sauvera les deux femmes du désespoir.
« Cher bon Dieu,
Aujourd’hui il m’a battue parce qu’il dit que j’ai fait de l’œil à un gars à l’église. J’avais une poussière, p’têt’ bien, mais c’est pas vrai que j’ai fait de l’œil. Je regarde même pas les hommes. Ça, c’est la vérité vraie. Je regarde les femmes, vu qu’elles j’en ai pas peur. »
Mon avis :
Quelle force incroyable dans ce roman, couronné par le Prix Pulitzer en 1983. On est envoûté dès la première ligne par Célie, qui écrit une lettre au bon Dieu. À qui d’autre ? Pour cette jeune fille, intelligente mais qui sait à peine écrire, il n’y avait pas d’autre destinataire. Elle écrit pour se sentir moins seule, pour conjurer le sort et confier ses peines. Le ton est donné tout de suite : quand sa mère tombe malade, Célie est violée par son père, et tombe enceinte, deux fois, deux enfants qui lui seront arrachés. Bam. Premier uppercut, premier KO. La voix de Célie, entêtante et poignante, nous ancre totalement dans le récit, et les pages défilent en nous laissant le souffle coupé. J’ai adoré la forme épistolaire de ce roman, ainsi que la cohérence entre l’expression écrite de Célie et son niveau d’éducation, avec ses fautes et son phrasé, sa maladresse. Célie nous parait ainsi familière, particulièrement vivace.
« Mon coeur doit quand même être jeune et pur, lui, parce qu’il renferme des fleurs de sang. »
Le roman est magnifique, mais très dur. Célie fait avec une innocence et un détachement désarmants le récit des maltraitances qu’elle subit, de la part de son père, puis de son mari, qu’elle appelle « Monsieur ». Ce dernier l’a choisie par défaut, il préférait sa soeur, mais il avait un besoin urgent d’une femme pour tenir son foyer et ses enfants. Célie passe ainsi d’un bourreau à l’autre, et perd son unique source d’affection : sa soeur Nettie. Cette dernière, après avoir fui le domicile familial, est recueillie par un révérend et son épouse, et décide de les suivre comme missionnaire en Afrique. Les deux soeurs sont donc brutalement séparées, et n’ont d’autre solution pour combler le vide qu’une correspondance à sens unique. J’ai été moins touchée, je dois l’avouer, par les parties concernant Nettie, et ses lettres relatant son quotidien en Afrique. Il faut dire que le contraste entre les deux récits est tellement fort, Célie a une présence extraordinaire qui lui assure l’empathie et l’affection du lecteur.
« Quand je ne t’écris pas je me sens mal, comme quand je ne dis pas mes prières. Je me retrouve enfermée en moi-même, étouffée par les battements de mon propre coeur. »
Nous sommes dans les années 30 dans le Sud des États-Unis. L’esclavage a été aboli, mais pas les ségrégations ni le racisme. Et les femmes sont les premières victimes de l’oppression et de la misogynie. Elles subissent une double peine : elles sont noires et elles sont femmes. Alice Walker en fera les héroïnes de son roman. Il y a Célie et Nettie bien sûr, mais j’ai adoré également les autres personnages féminins qui entourent le quotidien de Célie : Shug, Sofia, Squeak… Ces femmes prennent des coups tout au long du roman, et ne font que relever la tête plus haut encore. Elles sont toutes terriblement attachantes, émouvantes toujours, drôles parfois. Célie passe pour la plus faible d’entre elles : elle subit tout sans se révolter, considérant normal d’être battue et maltraitée, attendant d’être morte pour profiter un peu du Paradis qu’on lui promet dans les sermons à l’église. Au contact des autres femmes du roman, qui sont beaucoup plus pugnaces et libérées, elle va petit à petit s’affranchir, réaliser qu’elle peut être aimée et désirée, se découvrir des talents, et cette évolution, qui prendra tout de même plusieurs décennies de peurs et de larmes, est bouleversante.
« D’abord, le dieu à qui j’ai fait des prières et à qui j’ai écrit, c’est un homme. Et il est bien comme tous les autres. Pas sérieux, négligent et la mémoire courte, bref un bon à rien.
– Dis donc Celie, tu ferais mieux de la boucler. Le bon Dieu pourrait bien t’entendre.
– Et alors ? Si il ouvrait les oreilles toutes grandes pour écouter les femmes noires, le monde, ça serait quand même autre chose, c’est moi que j’te l’dis.«
Un roman inoubliable où la beauté tutoie la tragédie. J’ai quitté Célie à grands regrets, et j’ai hâte de la retrouver dans l’adaptation de Steven Spielberg pour renouer encore un peu avec cette voix qui ne cesse de me hanter…
Ma note (5 / 5)
Éditions Robert Laffont, traduit par Mimi Perrin, 15 décembre 2016, 368 pages
J’ai vu le film il y a bien des années, poignant, là tu m’as donnée envie de lire le livre <3
Il est magnifique, je ne peux que t’y encourager !
Quelle œuvre ❤️
J’ai envie de la redécouvrir suite à cette chronique !
Anaïs