Les feuilles d’ombre – Desmond Hogan

« Partir en quête du commencement, c’est remonter bien loin, au temps où la petite ville où j’écris était un peu différente, où les arbres flottaient à sa lisière, flottaient jusqu’à l’obsession, tant d’arbres, tant de vert au bout de la rue quand survenait l’été, l’arrivée des feuilles, du soleil, du brasier des boutons d’or. »

Deux jeunes garçons grandissent côte à côte dans la même petite ville de l’ouest de l’Irlande, à la fin des années 1940. Des jeunes gens privilégiés, éduqués et érudits, qui regardent d’un oeil curieux le destin des plus pauvres en périphérie de leur existence, et pour qui la tragédie n’est qu’un détail éloigné. Sean, le narrateur, raconte avec émotion ces années de jeunesse partagées avec Liam et la fascination qu’il éprouvait envers le mode de vie et la famille de son ami, tout particulièrement sa mère. Une exilée russe, qui donnait beaucoup de grandes réceptions réunissant l’élite anglaise, et qui faisait tourner les têtes sur son passage. Elle aimait subjuguer son auditoire en racontant la révolution russe et sa fuite d’un pays déchiré, dans un écho poignant au conflit irlandais. Hélas, après une aventure malheureuse et un coeur brisé, elle se suicide en se jetant dans la rivière. Un événement qui marquera profondément les deux garçons, dont l’existence sera perpétuellement hantée par cet épisode morbide et le fantôme de la mère absente.

« Parfois mes enfants me demandent, à moi l’avocat vieillissant, comment c’était d’être jeune. Je réponds des mensonges. Je dis que c’était merveilleux. Et ça l’était. Au moins quelque temps. »

Ce qui frappe immédiatement dans ce roman, c’est l’immense poésie du style de l’auteur, qui nous séduit dès les premières lignes. Il s’agit d’un magnifique roman initiatique, relatant ce passage délicat entre l’enfance et l’entrée dans l’âge adulte, ses tourments et ses interrogations. Au duo de départ vont venir se greffer trois autres amis, rencontrés à l’université, écumant les fêtes de Dublin en leur compagnie, et densifiant encore davantage les complexités et les limites de leurs relations. Amours déçues, amitiés fragiles, questionnements existentiels et profondes désillusions, rien ne sera épargné à cette petite bande qui tente sans succès de se noyer dans l’insouciance, dans un pays dont l’histoire se joue sous leurs yeux.

« Nous avons trahi, Sean, nous, notre peuple, nous nous sommes trahis, nous étions l’élite, les privilégiés, nous avions même le privilège de l’amour. Nous avons contemplé le monde du haut d’un rempart, vu le visage des autres, sans les prendre en pitié. Ils jouaient dans une tragédie grecque. »

Le roman est composé de trois parties, et je dois confesser une certaine lassitude dans la dernière. J’ai décroché de l’histoire de cette homme qui après trente ans, un mariage et trois enfants, vit encore dans son passé d’éternel étudiant. Le récit de cette jeunesse dorée et confrontée aux épreuves de la vie était extrêmement juste et émouvant, mais le soufflé retombe bien rapidement dès lors qu’il se prolonge un peu trop dans la vie adulte. C’est un petit bémol car malgré tout le roman est bouleversant de nostalgie, et la plume de Desmond Hogan absolument sublime.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

 

Éditions Grasset, traduit par Serge Chauvin, 28 septembre 2016, 224 pages

 

 

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