Le Maître des poupées et autres histoires terrifiantes – Joyce Carol Oates

La banalité de l’horreur, la violence du quotidien… des thèmes récurrents dans les romans de Joyce Carol Oates. Les voilà à leur paroxysme dans un recueil de six nouvelles, parues entre 2015 et 2016, toutes plus angoissantes les unes que les autres.

La nouvelle éponyme, « Le Maître des poupées », est à mon avis la moins réussie, à tel point qu’elle a bien failli me décourager à poursuivre ma lecture. À la mort de sa petite cousine, un petit garçon se prend d’affection pour la poupée de celle-ci. Contraint de l’abandonner sur les ordres de son père (selon lequel évidemment un garçon ne doit pas jouer aux poupées au risque que les cinq plaies d’Égypte s’abattent sur lui et sa virilité), il décide de commencer en cachette une collection de poupées qu’il trouve dans la rue. Plus il grandit, plus cette collection qui s’étoffe paraît étrange et quelque peu malsaine. Que représentent ces poupées exactement ? Un style répétitif et une fin relativement attendue n’en font pas une nouvelle particulièrement percutante.

« Toute ta vie, tu brûles de revenir à ce qui était. Tu brûles de revenir vers ceux que tu as perdus. Pour y parvenir, tu feras des choses terribles, que personne d’autre ne peut comprendre. »

Les suivantes m’ont parues bien plus abouties, et mieux menées. Elles commencent toutes de manière assez anodine, avant l’incursion du macabre et d’une noirceur oppressante. Ainsi une femme, en voyage aux Galapagos avec son mari, est convaincue que ce dernier cherche à la tuer. A-t-elle raison ou perd-elle la tête, le lecteur le découvrira après une immersion d’autant plus désagréable que ce couple est la normalité même. Normal, le soldat d’une autre nouvelle l’est également, du moins jusqu’à ce qu’il commette un meurtre défrayant la chronique. Légitime défense ou crime raciste ? Ailleurs, c’est une jeune adolescente mal dans sa peau qui décide de se détourner de sa mère, avec laquelle les rapports sont tendus, pour se fondre dans le quotidien de la famille un peu trop accueillante d’une amie de classe. Dans une autre nouvelle, c’est à nouveau une jeune adolescente qui rend service à un professeur qu’elle admire beaucoup et qui la charge de surveiller sa magnifique demeure pendant son absence. La solitude de la jeune fille à une heure tardive dans cette grande maison richement décorée est totalement oppressante, d’autant plus qu’elle ne durera pas. Enfin, dans la dernière nouvelle, un homme d’affaires est prêt à tout pour acquérir une librairie ancienne spécialisée dans les romans à mystère…

« On aurait dit que la librairie était hantée par quelque chose qui n’était pas encore arrivé. »

Ce qui frappe dans ces nouvelles, c’est précisément l’absence de surnaturel. On ne sursaute pas devant des maisons hantées, des zombies vengeurs, ou bien des monstres assoiffés de sang. C’est plus subtil et, surtout, plus banal, ce qui les rend bien plus inquiétantes. Les monstres de ces nouvelles pourraient être votre voisin, votre camarade de classe, votre libraire, votre conjoint… Elles sont ancrées dans le quotidien et le monde réel, qui basculent tout à coup dans le cauchemar : ce n’en est que plus terrifiant. Il y a pour le lecteur un mélange de fascination envers l’horreur qui se déroule dans ces pages, et de malaise sinistre. Ces nouvelles sont par ailleurs d’autant plus percutantes que la fin est souvent ambiguë, et laisse libre court à l’imagination. C’est donc un exercice réussi pour Joyce Carol Oates, qui parvient avec une grande maîtrise à distiller l’angoisse, tout en dénonçant avec brio, comme dans ses romans, les travers de la société américaine contemporaine : le patriarcat, le racisme, la violence ordinaire…

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

 

Éditions Philippe Rey, traduit par Christine Auché, 5 septembre 2019, 336 pages

3 commentaires sur “Le Maître des poupées et autres histoires terrifiantes – Joyce Carol Oates

  1. Je suis occupée à le lire… Et j’adore… L’horreur, je déteste, mais pas ce livre ci

    1. Oui parce qu’Oates arrive à manier les codes en provoquant le malaise sans tomber dans de l’horreur trop gratuite et « facile »

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