Le retour au pays natal – Thomas Hardy

Résumé de la quatrième de couverture :

La fougueuse Eustacia Vye est prête à tout pour quitter la lande déserte et morne d’Egdon, où elle dépérit. Son appétit de liberté la porte tout d’abord à courtiser Damon, garçon charmant mais sans cervelle. Ses charmes parviennent à le détourner de la douce et inoffensive Thomasine, sa fiancée… Lorsque le cousin de celle-ci, Clym Yeobright, revient de Paris fortune faite, Eustacia voit aussitôt le parti à tirer de ce jeune homme entreprenant, qui a pris son essor loin du pays natal.
D’autant que Clym ne repousse pas ses avances. Il a pourtant d’autres projets — quitte à contrarier sa mère, qui n’entend pas le marier à cette fille de basse naissance…

« Ainsi qu’il arrive à certains êtres ayant longtemps vécu seuls, la solitude semblait l’expression même du visage de la lande – visage d’isolé où s’inscrivaient des possibilités tragiques. »

Mon avis :

La lecture de ce roman de Thomas Hardy m’a décontenancée, tant il différait du reste de l’oeuvre de l’auteur. Tout en étant à nouveau absolument séduite par la plume de l’auteur et par sa sensibilité, j’ai été frappée par le manque d’empathie que le récit suscite envers les personnages. Leurs destins sont certes tragiques, ce qui est assez courant dans les romans de Hardy (ainsi de Tess d’Urberville, de Jude l’Obscur, ou encore de mon grand favori, Les Forestiers), mais cette fois-ci il m’a paru impossible de les plaindre tant ils m’ont agacée.

« Il lui arrivait de penser que le destin l’avait injustement traité, de se dire, même, que naître met l’individu en face d’un dilemme et, qu’au lieu de s’efforcer d’avancer avec gloire dans la vie, les hommes feraient mieux de chercher un moyen d’en sortir sans ignominie. »

Au début du roman, nous apprenons qu’une certaine Thomasine doit épouser Damon Wildeve, contre l’avis de sa tante et tutrice qui préférerait de très loin la marier à son fils Clym. Ce choix est d’autant plus mauvais que le lecteur apprend rapidement que Wildeve est en réalité passionnément amoureux d’Eustacia, une coquette égoïste qui tourne la tête de tous les hommes qui passent, et qui réussit à obtenir du jeune homme qu’il diffère son mariage, jetant l’opprobre sur la fiancée éconduite. Cette manoeuvre n’est pas faite pour lui attirer la sympathie du lecteur, d’autant plus que ses motivations sont bien moins sentimentales que pratiques. En effet, Eustacia s’ennuie, déteste la lande et rêve de partir pour la ville, ou tout le moins pour une aventure digne de ce nom. Et lorsque Clym Yeobright rentre de Paris pour quelques jours de vacances, Eustacia a tôt fait d’abandonner, au profit de ce parti bien plus enthousiasmant, un Wildeve contraint de se contenter de la pauvre Thomasine. Voilà les bases de cette histoire, qui réunit deux couples extraordinairement mal assortis, qui persisteront dans leur union malgré les avertissements de leur entourage, et qui, de manière assez prévisible, vont former deux mariages extrêmement malheureux.

« Avoir conscience que la fin du rêve approche et n’est cependant pas encore vraiment arrivée est un des plus accablants en même temps qu’un des plus curieux moments du parcours entre le début d’une passion et sa fin. »

Ces quatre personnages, dont on pourrait exclure Thomasine qui brille par son absence et sa totale inconsistance, vont former un huis clos étouffant à renfort d’occasions manquées, de regrets et de désillusions. On leur pardonnerait volontiers leurs épreuves et leurs déconvenues s’ils étaient tous moins aveuglés et égoïstes, persistant dans leurs erreurs et leurs caprices avec obstination. Cette tragédie rurale, pourtant dépeinte avec énormément de finesse et de psychologie par Thomas Hardy, m’a donc un peu trop laissée de marbre pour que la lecture me laisse un souvenir impérissable. Le dénouement par ailleurs est décevant, trop facile, trop édulcoré, tranchant avec le reste du récit qui est au contraire extrêmement réaliste, sans pitié aucune pour les personnages. C’est d’autant plus déroutant que l’on apprend que ce n’était pas la fin souhaitée par Thomas Hardy, contraint de la réécrire en raisons des « exigences de publication ». Il est bien dommage de ne pas avoir conservé l’inspiration première de l’écrivain. Finalement un seul personnage m’a paru sortir du lot, tant par l’originalité de ses particularités que par le désintéressement total de ses actes (jusqu’à un certain point tout de même), c’est Diggory Venn, le fameux « homme au rouge » comme on nommait alors les marchants itinérants fournissant les fermiers en craie rouge pour marquer leurs moutons. Il n’est qu’un observateur extérieur aux drames se déroulant dans ce petit coin du Wessex, et pourtant son intervention, en apparence anodine, va à de nombreuses reprises conditionner l’enchaînement des événements. J’ai trouvé cette immixtion d’un élément extérieur, dont les motivations sont très éloignées des quatre autres personnages, vraiment intéressante.

« C’était aux crépuscules, puis durant les heures qui se succédaient jusqu’aux aubes, que son charme s’imposait, prenait toute sa signification. Alors, et seulement alors, la lande était vraiment la lande. Un lien d’étroite parenté unissait cet endroit et la nuit, une tendance à graviter ensemble qui, dès la tombée du jour, se manifestait dans les ombres et le paysage : la sombre étendue de tertres et de creux semblait se lever pour accueillir, en pure sympathie, les gris mélancoliques du soir ; la lande exhalait l’obscurité, aussi rapidement que le ciel la déversait. Et, ainsi, l’obscurité de l’air et celle du sol se fondaient en une noire étreinte fraternelle, chacune ayant fait vers l’autre la moitié du chemin. »

En conclusion, la grande réussite du roman n’est donc pas à chercher du côté de ces complications maritales sur fond d’amour à demi sincère et de froids calculs. La véritable protagoniste de cette histoire est ailleurs : c’est la lande, omniprésente et sauvage. Certains y puisent leur réconfort et s’y perdent pour renouer avec leurs origines, d’autres y vivent dans une détestation constante, rêvant d’ailleurs et d’élévation sociale. Il y a dans ce roman, en particulier dans les premières pages qui sont à couper le souffle, des descriptions absolument splendides de la lande si typique de ce coin d’Angleterre, et que Thomas Hardy chérissait tant. De plus, l’auteur installe astucieusement son intrigue sur une année, laissant se dérouler l’histoire dans le même temps que les saisons, le changement du paysage dialoguant avec la lente progression de la tragédie qui s’y noue. C’est extraordinairement réussi. À mon sens ce roman est moins celui des individus que du Wessex dans son ensemble, et d’une conception du bonheur qui ne se réaliserait qu’à la condition d’être en harmonie avec son environnement. Toutes les sources de malheurs survenant entre les personnages viennent de leur aveuglement face à la passion, et leur incapacité totale à considérer avec raison les incompatibilités profondes, tant de caractères que d’aspirations, qui existaient entre eux. Et c’est précisément là que se situe le génie psychologique de l’écrivain.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

 

Éditions de l’Archipel, traduit par Marie Canavaggia, mai 2016, 550 pages

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