
Résumé de la quatrième de couverture :
Sur la Grand-Place de ce village irlandais, l’échange fut discret. Quelques mots, un regard furtif, un sourire et la belle Ellie s’enfuit. Florian Kilderry, lui, hésite un instant, avant de repartir. Ellie est la seconde femme d’un fermier aimant mais solitaire, Florian un photographe nomade qui rêve d’ailleurs.
« Ils parvinrent à la Grand-Place et demeurèrent plantés là, sans un mot. On pouvait les voir, elle s’en moquait.
– Je vais peut-être partir à la recherche de votre pavillon de gardien en ruine, un de ces jours, vu que c’est tout ce qui reste de cette demeure dont m’a tant parlé le vieil homme. Peut-être que je vais faire cela.
– C’est à cinq kilomètres d’ici, sur l’ancienne route de Kilaney. C’est assez facile à trouver.
– J’ai rêvé de vous, dit-il. »
Mon avis :
Attention pépite ! Cela faisait quelques temps que j’hésitais à entamer ce roman, trompée par la couverture et le résumé de l’éditeur* qui laissait présager une bluette sentimentale, ou l’histoire d’un passion lascive. Je ne pouvais me tromper davantage.
« Le temps de la souffrance était révolu, et pourtant elle aurait voulu qu’il n’en fût rien, elle aurait voulu qu’il en restât toujours une trace – une grimace de douleur, un frisson, une partie de sa colère non encore assouvie. »
C’est le récit du quotidien, le temps d’un été dans le petit village irlandais de Rathmoye, dans les années 50. Tout commence par l’enterrement de la vénérable Mrs Connulty. Le village entier est présent pour rendre hommage à celle qui tenait la pension de famille. Un étranger passe par là et prend des photos, avant de se renseigner auprès d’une jeune femme. Ce seront les premiers mots échangés entre Ellie et Florian. Les jours passent, rythmée par les courses, les travaux aux champs, le va-et-vient des représentants de commerce, les divagations du fou du village… Dans ce microcosme où les ragots vont bon train mais où de petits drames personnels se déroulent à couvert dans chaque maison, une relation va se nouer lentement entre les deux jeunes gens.
« – C’est sûr ? demanda-t-elle. Le dix-sept septembre ?
– Oui, c’est sûr.
Des pois de senteur sauvages étaient en fleur, tout en nuances blanchies et délavées de mauve et de rose. Des pommes se formaient sur les branches du groupe d’arbres qu’ils traversèrent pour se rendre au lac. Sur la rive, des rats d’eau se précipitèrent dans l’onde à l’approche de la chienne qui reniflait dans les roseaux.
– C’est un mardi, dit-elle. Le dix-sept septembre. »
Ellie est orpheline, élevée par des soeurs, et envoyée au service d’un fermier veuf, qui lui demandera rapidement de l’épouser. Son mari est tendre sans être passionné, et sa vie à la ferme est monotone, répétitive, mais elle ne s’en plaint pas, et ne se laisse pas aller aux grands atermoiements. Florian quant à lui est l’enfant unique de parents fantasques, peintres sans le sou, propriétaires d’une grande maison mais couverts de dettes. À leur mort, Florian décide de tout mettre en ordre et de vendre. Il veut quitter l’Irlande, peut-être gagner la Scandinavie. C’est à ce moment-là que son chemin croise celui d’Ellie.
« Il allait partir et l’idée qu’il ne serait plus là serait sa première pensée chaque matin, tout comme sa première pensée en cet instant était qu’il se trouvait bien là. Elle ouvrirait les yeux et verrait les murs badigeonnés de rose tels qu’elle les voyait maintenant, l’image sacrée au-dessus de l’âtre vide, ses vêtements sur la chaise devant la fenêtre. Il serait parti comme les morts sont partis, et cette notion serait présente toute la journée, à la cuisine et dans la cour, lorsqu’elle rentrait l’anthracite pour le Rayburn, lorsqu’elle ébouillanterait les bidons de lait, pendant qu’elle nourrirait les poules et empilerait la tourbe. »
Est-ce de l’amour ? Un réconfort mutuel ? Une brève étincelle dans une existence morne et faite de regrets ? Le lecteur le découvrira au fil des pages, faisant lentement connaissance avec tous les protagonistes de cette histoire. Le style est très particulier, s’attachant à tous les détails, décrivant minutieusement tous les gestes, même les plus banals. Cela peut déconcerter au début (vous saurez tout de la recette du ragoût…!) mais petit à petit, cela permet au récit d’adopter une cadence à mesure que l’histoire se raconte. Nous ne faisons qu’un avec Ellie et Florian, partageant leurs pensées et leurs actes, mais également avec Dillahan, Miss Connulty, son frère Joseph-Paul, Bernadette O’Keeffe, Orpen Wren… La monotonie ne fait qu’étouffer la violence de leurs désirs, de leurs espoirs, de leurs douleurs, et le quotidien tel qu’il est retranscrit se transforme en une douce langueur qui sublime l’émotion. Il y a énormément de pudeur et de mélancolie dans ce roman qui m’a parfois fait penser à Ethan Frome ou encore aux romans de Thomas Hardy.
« Dans les rues plongées dans le noir, sur des routes qui souvent ne sont rien qu’à lui, des moments de lumière soudains percent les ténèbres : retours de réalité qui envahissent le vide. »
William Trevor donne corps à l’indicible, au sentiment, à la fugacité d’un amour, dévoilant un roman magnifique et bouleversant. C’est un vrai petit bijou que je vous recommande absolument !
« Quand il lui tendit la main pour qu’elle la prît, ce fut la première fois où ils se touchèrent, et malgré tout, le calme était toujours présent. »
Ma note (5 / 5)
Éditions Points, traduit par Bruno Boudard, 20 juin 2013, 264 pages
*à noter que le résumé de la quatrième de couverture des éditions Phébus est pire, dévoilant la fin du roman… Spoilers garantis.