Ce que savait Maisie – Henry James

Résumé :

Maisie vit en alternance chez son père et sa mère qui font d’elle le témoin de leur haine mutuelle depuis leur tumultueux divorce. Et quand chacun s’engage dans une nouvelle relation, la petite fille se trouve emportée dans une valse d’intrigues, de haines et de trahisons.

« Elle fut abandonnée à son destin. Chaque spectateur se rendait clairement compte que le seul lien entre son père et sa mère était cette situation qui la transformait en une coupe d’amertume, une profonde petite tasse de porcelaine où de mordants acides pouvaient être versés. Ses parents n’avaient pas voulu d’elle pour le bien qu’ils pourraient lui faire, mais pour le mal qu’ils pourraient se faire l’un à l’autre, grâce à son aide inconsciente. »

Mon avis :

Je suis sous le charme de Henry James depuis Portrait de femme, dont je ne me suis toujours pas remise, et cette jolie édition chez 10/18 de ce roman somme toute assez peu connu, constituait un prétexte suffisant pour m’y plonger. J’y déplore quelques longueurs, j’avais parfois un peu l’impression de tourner en rond, mais il n’en demeure pas moins que j’ai adoré cette nouvelle immersion dans l’univers du plus british des écrivains américains. C’est magnifiquement écrit, débordant de cynisme, et surtout c’est extrêmement original.

Le récit est en effet donné uniquement du point de vue de la petite fille, Maisie. Ses parents viennent de divorcer, et la bataille pour sa garde a été acharnée, chacun d’entre eux souhaitant se l’arracher. S’ensuit un compromis tout à fait incroyable : Maisie passera alternativement 6 mois chez chacun de ses parents. Assez vite, on se rend compte que l’enfant ne présente un réel intérêt ni pour son père, ni pour sa mère, bien trop occupés à d’autres desseins. Elle n’est qu’un instrument de leur détestation réciproque. Ce va-et-vient d’une maison à l’autre est particulièrement déstabilisant pour Maisie, qui en réalité passe surtout d’une gouvernante à l’autre, chacune ayant un objectif bien particulier en tête, qui ne coïncide pas forcément avec le bien-être de leur protégée. Les parents se remarient, et le roman atteint son point culminant lorsque Maisie redevient un enjeu, d’une nature différente et cette fois entre ses deux beaux-parents.

« Elle sentit s’ancrer en elle le lointain pressentiment qu’elle finirait par assister à un complet changement dans la nature de cette lutte qu’elle semblait n’avoir été mise au monde que pour provoquer. Ce serait toujours une lutte, mais où l’on se battrait désormais à qui ne la recevrait pas. »

L’originalité vient donc, vous l’aurez compris, de cette focalisation sur le point de vue d’une petite fille. Des événements qui se déroulent sous ses yeux, on ne connaîtra rien de plus que ce qu’elle en sait, ou ce qu’elle croit en deviner. Pour le reste, ce sera au lecteur de le reconstituer, en tirant les conséquences qu’elle est trop jeune pour appréhender elle-même. On ne connaîtra du reste jamais son âge, ce qui je dois l’avouer m’a un peu troublée. Elle pose un regard tellement lucide et perspicace sur les adultes qui l’entourent et sur son propre sort que j’avais énormément de mal à lui accorder un âge précis. C’était sans doute délibéré de la part de Henry James, l’important n’étant pas que la sagesse et l’intelligence de Maisie paraissent réalistes par rapport à son âge, mais qu’ils permettent de construire ce roman et de souligner l’ironie mordante qui parcourent ces pages. Car en effet l’auteur se moque, au travers des parents, puis des beaux-parents, de la société bien-pensante et hypocrite, ainsi que du peu de cas que l’on faisait des enfants, faisant du roman une satire particulièrement grinçante. La pauvre Maisie apprend bien vite à étudier les comportements de ceux qui l’entourent, et à agir en fonction de ce qu’elle pense qu’on attend d’elle. Mortifiée à l’idée de blesser quelqu’un, guettant sans cesse celui de ces adultes qui aurait le plus d’amour pour elle pour se l’attacher, elle est ballottée de l’un à l’autre sans que jamais on ne s’interroge sur son bonheur et sur son éducation (qui est d’ailleurs totalement inexistante).

« Elle était à l’âge où toutes les histoires sont vraies, et où toutes les idées sont des histoires. L’actuel était absolu, le présent seul existait. »

Le sujet est assez banal, mais le roman ayant été publié en 1897, j’ai été frappée par la modernité du propos. L’analyse psychologique est incroyablement travaillée, Henry James se fondant complètement dans la peau d’une jeune enfant, et laissant se dérouler un panorama de situations diverses auxquelles Maisie réagit avec un certain stoïcisme et bien trop de maturité. Pour autant elle n’est pas la narratrice, ce qui permet un certain détachement de la part de l’auteur, qui redouble d’ironie non seulement devant les errements pathétiques des adultes, mais aussi un peu cruellement devant l’innocence et la naïveté dont fait parfois preuve Maisie face à eux. Cela fait de ce roman à la fois un tour de force littéraire, mais aussi une étrangeté tout à fait troublante.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

 

Éditions 10/18, traduit par Marguerite Yourcenar, 7 février 2019, 407 pages

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