Les heures solaires – Caroline Caugant

Résumé :

Alors qu’elle prépare sa prochaine exposition, Billie, artiste trentenaire, parisienne, apprend la mort brutale de Louise. Sa mère, dont elle s’est tenue éloignée si longtemps, s’est mystérieusement noyée. Pour Billie, l’heure est venue de retourner à V., le village de son enfance. Elle retrouve intacts l’arrière-pays méditerranéen, les collines asséchées qu’elle arpentait gamine, la rivière galopante aux échos enchanteurs et féroces, et surtout le souvenir obsédant de celle qu’elle a laissée derrière elle : Lila, l’amie éternelle, la soeur de coeur — la grande absente.

Mon avis :

Quel roman ! J’avais été intriguée par la quatrième de couverture, qui promettait une lecture romanesque, mais je n’étais pas préparée à ce tourbillon dans lequel il m’a emportée. C’est le premier roman que je découvre de cette nouvelle collection prometteuse, Arpège.

« Traversant les années, l’autre corps tant aimé vient se couler près de Louise. Dans l’eau, leurs peaux bleues se confondent. Les remords et le chagrin se chevauchent. »

J’ai été frappée tout de suite par le style de Caroline Caugant. Il y a une grande délicatesse dans sa façon de poser ses mots, ses personnages, ses lieux. On fait tout de suite la rencontre de Billie, une jeune femme, artiste, solitaire, qui aime déambuler dans son appartement avec vue sur le cimetière du père Lachaise, inspirée ou plutôt hantée par l’une de ses statues, tenant à la main deux couronnes mortuaires. Un soir, elle reçoit un appel : sa mère, Louise, atteinte d’Alzheimer, a échappé à la vigilance des infirmières et s’est noyée dans la rivière. D’un seul coup c’est le passé qui revient comme une gifle, et on pressent que l’immense drame qui s’est nouée dans la jeunesse de Billie a trouvé le moyen de se faufiler jusqu’à elle.

J’ai aimé cette lente progression, mon souffle suspendu à celui de Billie. J’ai senti la chaleur étouffante du mois d’août à Paris, la liberté des chemins de l’enfance, son désarroi face à la mort de cette mère avec laquelle il y avait tant de distance, sa terreur à l’idée de retourner à V. le village qu’elle avait quitté à dix-sept ans. Elle fuyait alors, et n’a cessé de fuir depuis, s’interdisant toute intimité avec les autres, jusque dans sa vie amoureuse où elle se contente de miettes. J’ai suivi ses traces lorsqu’il lui a fallu retourner dans la maison de son enfance, senti les odeurs et les sons du Sud qui ont fait remonter à la surface les souvenirs qu’elle s’était tant efforcée d’oublier.

« Le travail de l’oubli est long et délicat, il demande une telle vigilance. Et voilà qu’après tout ce temps, elle se retrouve sur la place de son enfance, entourée de ses fantômes, à tenter de les contourner. »

Ces souvenirs lui reviennent, par vagues. Sa mère, Louise. Son amie, sa soeur de coeur, Lila. L’oncle Henri. Jean. Suzanne. Tant de fantômes de son passé qu’il lui faut à présent affronter, mettant un terme à sa fuite en avant. Il parait rapidement assez évident qu’il s’est passé quelque chose en lien avec Lila, quelque chose que Billie se reproche et qu’elle est incapable d’affronter, rongée par la culpabilité. Mais, alors que le lecteur est absorbé par ce mystère qui ne peut manquer de se dévoiler, le roman prend tout à coup un souffle inattendu. En se plongeant dans les secrets de sa mère, elle va s’apercevoir que son histoire n’est que l’un des fils d’une toile bien plus large, qui englobe trois générations de femmes : Adèle, Louise et enfin Billie, qui n’est que l’héritière d’un inconscient familial bien trop présent.

« La colline est un coeur qui bat. L’eau s’en extrait en pulsations régulières. Les corps se balancent au rythme de la rivière qui se déverse puissamment. Le sang dans la rivière est une trainée rosâtre emportée par les courants. »

Ce roman est, d’après le bien-nommé dernier chapitre, une « valse à trois temps ». Une valse avec le cours de la rivière qui n’en finit pas d’enfouir les secrets. Une valse avec le cours des souvenirs. Une valse avec des fantômes bien trop vivaces. Une valse entre la guerre et ses traumatismes, les robes vichy et les premières amours, et l’amitié croix de bois croix de fer. Tout a un sens, et tout est lié. J’ai refermé le coeur battant ce roman subtil sur le poids de la mémoire, de la culpabilité, et des secrets de famille, brossant trois magnifiques portraits de femmes. Adèle la pieuse, cherchant farouchement à protéger son enfant ; Louise la flamboyante, et pourtant si fragile ; et Billie, résolue et tellement émouvante. Sont-elles si différentes, ces trois femmes chez qui l’amour submerge tout ? L’histoire semble se répéter, tel un cycle infernal les enfermant dans une destinée qu’elles sentent glisser entre leurs doigts. Il faudra à Billie le courage de nager à contre-courant pour tenter de se libérer d’un héritage familial bien trop lourd à porter.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

4 commentaires sur “Les heures solaires – Caroline Caugant

  1. Je me délecte toujours de tes critiques où chaque mot est juste et bien pesé.
    Cette photo est magnifique: le bleu des billes chinoises va à ravir avec la couverture.
    Tu m’as donné particulièrement envie de lire ce livre car il fait appel à ce que je traverse en ce moment: ma maman est partie fin novembre….se souvenir, avancer, la fuite….lire, c’est aussi rencontrer un roman à un moment précis dans sa vie. Il faut trouver le bon roman à lire au bon moment au risque que l’alchimie n’opère pas.
    Merci pour cette découverte!

    1. Merci beaucoup pour tes mots, et toutes mes pensées vont vers toi, c’est vraiment une épreuve terrible. C’est un beau roman, qui te parlera peut-être, sur la transmission et la famille.

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