
Résumé :
« Il y a peu de choses que je n’acceptais pas venant de maman. La voir mourir en faisait partie. » Quand le médecin leur annonce que leur mère est vivante mais en état de mort cérébrale, Manon laisse échapper qu’elle préfèrerait qu’elle meure. C’est trop tôt pour y penser, lui répondent sèchement Adèle et Gabriel. Délaissant mari et enfant, Manon décide de s’installer parmi les siens. Au coeur de cette fratrie grandie et éparpillée, elle découvre ce qu’il reste, dans leurs relations d’adultes, des enfants qu’ils ont été. Et tandis qu’alentour les montagnes menacent de s’effondrer, les secrets de famille refont surface. Qui était vraiment cette mère dont ils n’ont pas tous le même souvenir ?
Mon avis :
Très vite le décor est planté : une mère qui était absente, sinon physiquement, du moins psychologiquement, sujette à des accès de mélancolie, extrêmement secrète, et qui aujourd’hui leur est définitivement semble-t-il hors d’atteinte. Un père taiseux, hagard, effacé. Et une fratrie que tout semble opposer aujourd’hui, alors qu’ils semblaient, du moins d’après les souvenirs de la narratrice, Manon (mais peut-être réécrit-elle l’histoire également…?), extrêmement proches dans l’enfance. C’est la double autopsie d’une famille : les relations avec la mère, les relations au sein d’une fratrie. Celles avec le père ne sont quasiment pas mentionnées, mis à part certains souvenirs témoignant d’une tendresse paternelle.
« Ce qu’il ne disait pas, c’était le lit devenu si grand. Le sommeil qui ne venait pas, ou si peu, et qui toujours lui réservait un réveil au goût amer, es yeux ouverts sur l’absence. Quarante ans à se réveiller à deux, comment s’endormir seul ? »
Malgré des qualités, j’ai été déçue du potentiel inexploité de cette histoire. Tout au long du roman, on nous apprend par exemple que les montagnes tout autour menacent de s’effondrer, ce qui contribue à la sensation d’enfermement dans cette ville du passé, de l’enfance. Il y a ainsi des éboulements réguliers, et j’ai pensé que ces petits détails n’en étaient pas, mais qu’ils contribuaient à la mise en place d’une ambiance mi-mystérieuse mi-angoissante, qui jouerait un rôle à part entier dans l’histoire. Je trouvais vraiment intéressant cet effondrement de la montagne comme un effondrement de leur vie, et cela m’a un peu frustrée de voir que cela n’aboutissait sur rien, mis à part une évocation des caprices de la nature contre laquelle on ne peut rien et un discours vaguement écologique.
De la même manière, sont distillés par petites touches des problèmes de société : la bipolarité, et de manière générale la gestion des maladies psychiatriques, la lutte pour les droits des familles monoparentales… En parallèle de cette épreuve, Manon est une jeune mère, alors que sa soeur est sur le point de l’être. Elle est en plein dans ce qu’on appelle pudiquement et maladroitement le « baby blues ». Elle parle ainsi de sa mélancolie, et son incapacité à se lier à son bébé. Mais tout ceci pour moi est trop survolé. Certes cela montre le fossé qui oppose le frère et les soeurs, et les incompréhensions profondes qui existent entre eux, mais c’est beaucoup trop en pointillé pour en faire une analyse vraiment fine. De même est évoqué un secret de famille, caché toute sa vie par leur mère. En creux, on se doute progressivement qu’il est une conséquence de la Seconde Guerre Mondiale. On sent bien que c’est quelque chose qui a dicté toute sa vie, et qui a profondément impacté ses relations avec ses enfants. Mais là encore, on reste sur notre faim, peu de mystères sont véritablement dévoilés sur la personnalité de cette femme et les raisons pour lesquels elle se sentait si mal dans sa peau. De vrais sujets de société donc, et j’ai déploré qu’ils soient égrenés sans leur donner plus de signification, sans développer davantage leurs conséquences sur les vies de chacun des personnages.
« En serait-il allé autrement si nous nous étions intéressés à elle comme à une inconnue dont nous souhaitions faire la connaissance et pas seulement comme à une mère qui nous devait tout, inconditionnellement ? »
Mais il est vrai que finalement, le sujet de fond du roman est avant tout la question de l’euthanasie. La mère est d’abord plongée dans le coma, puis dans un état végétatif qui leur donne des airs de funambules de l’espoir. A-t-elle souri ? A-t-elle serré la main ? Que fait-on lorsqu’une personne qu’on aime n’est ni morte, ni vraiment vivante ? Des mois passent dans une situation qui rend tout deuil impossible. Les débats au sein de la famille cristallisent tout ce qu’il peut y avoir de déchirant à devoir envisager ce genre de décisions. Là-dessus, le roman sort véritablement du politiquement correct, surtout par la voix du personnage de Manon, qui a un avis extrêmement tranché et qui estime que vivre ainsi n’est plus vivre. Elle l’exprime dès le début du roman d’ailleurs, alors que leur mère est encore en réanimation : « Autant qu’elle meure ». Des paroles qui vont peser considérablement sur les relations au sein de la famille dans une épreuve qui devraient pourtant les souder à jamais. Ces décisions à propos de l’avenir de leur mère, qu’ils auront malgré eux à prendre ensemble, comme une famille unie, seront les dernières, tant ils les opposent irrémédiablement.
« Je l’avais dit à voix haute et c’est là que l’histoire a définitivement tourné court entre Adèle, Gabriel et moi. Que les liens sur lesquels nous tirions depuis l’enfance ont cédé. Que celle-ci, en somme, s’est terminée. »
Un premier roman plutôt réussi pour Charlotte Pons, émouvant mais sans jamais tomber dans le pathos, une lecture fluide, et de beaux sujets, qui mêlent le deuil de la mère au deuil de l’enfance. Le roman aurait gagné en puissance si certains éléments, dépeints extrêmement rapidement, avaient été davantage développés, pour insuffler une atmosphère désarçonnant et enveloppant un peu plus le lecteur et pour donner davantage d’épaisseur aux personnages. En tournant la dernière page, le livre m’a donc laissé un petit goût d’inachevé.