Armadale – William Wilkie Collins

Le maître victorien du suspense a encore frappé fort avec ce roman monumental qui confine au génie en racontant les mésaventures de deux personnages portant le même nom.

« La souffrance développe le mal que chacun porte en soi autant qu’elle développe le bien. »

Le roman commence par l’expiation d’un mourant, décidé à terminer la rédaction d’une lettre destinée à son jeune fils, qui raconte le terrible crime qu’il a commis par vengeance, et comment il s’est trouvé portant le même nom qu’un autre petit garçon : Allan Armadale. Elle finit sur ces conseils : mettez les montagnes et les mers entre vous, changez de nom, ne rencontrez jamais cet homme de votre vie. Malheureusement et à leurs corps défendants, les deux jeunes hommes vont pourtant se rencontrer, à l’aube de leur vie adulte. Allan Armadale est un jeune homme niais et impulsif, qui vit dans un village isolé en compagnie de sa mère et ne bénéficie que de l’éducation superficielle qu’aura pu lui apporter un ami de la famille, le révérend Brock. Un jour un jeune vagabond est amené au village entre la vie et la mort, et Allan, irrémédiablement attiré vers cet étranger de son âge, décide de prendre soin de lui et de lui offrir son amitié inconditionnée. L’étranger affirme s’appeler Ozias Midwinter, il est aussi brun qu’Allan est blond, petit, maigre et ombrageux, mais il témoignera une gratitude infinie envers les bons soins de son sauveur, la première personne à lui avoir témoigné une quelconque affection. Mais voilà, comme l’apprendra le lecteur assez rapidement, ce jeune homme est en réalité ce fameux homonyme, destinataire de la lettre écrite quinze ans plus tôt. Lorsqu’il l’apprend il décide de le cacher à son nouvel ami, décidé à rester dans l’ombre et fidèle à son serment de l’aider en toute chose sa vie durant. Mais le poids de la confession de son père lui pèse, et il se prend à redouter que sa désobéissance à ses dernières volontés entraine une tragédie terrible…

« Ici encore, comme dans toutes les autres aventures humaines, les éléments discordants du grotesque et du terrible se trouvèrent mêlés par cette inévitable loi des contrastes qui régit tout ici-bas. »

Une fois les enjeux et les différents personnages bien posés, j’ai crains que tout ne soit assez prévisible, ce qui auraient rendu les 700 pages restantes quelque peu mornes. C’était oublier le génie de Collins, qui ne cesse de surprendre son lecteur en multipliant les rebondissements, plus inattendus les uns que les autres, et en apportant un soin extraordinaire à la peinture de ses personnages, qui tous semblent prendre vie sous nos yeux, y compris les plus secondaires. Si Miss Gwilt parait odieuse dès son apparition, l’alternance rythmée des modes de narration chère à Collins nous la montre sous un autre jours lorsqu’apparaissent les extraits de son journal intime, qui plonge le lecteur dans la psyché retorse de cette anti-héroine que l’on déteste autant qu’on adore pour son esprit, son humour, et son imagination sans limites. Elle est en tout cas bien plus passionnante que ce falot d’Armadale, l’officiel en tout cas, dont l’imbécillité semble de plus en plus accentuée au fur et à mesure du récit. Midwinter quant à lui est un personnage parfaitement complexe, délicieusement insaisissable pour le lecteur qui ne cesse de s’interroger sur son compte. Il est terriblement attachant, consumé par ses superstitions, irrémédiablement dévoué et reconnaissant à Armadale, hanté par son douloureux passé, et sans cesse victime malgré lui des événements, malgré ses efforts démesurés et totalement inefficaces pour tenter d’empêcher le pire. On le plaint autant qu’on espère son retour en grâce.

Le succès instantané de ce roman, qui se prolonge encore de nos jours, provient sans doute de son immoralisme, mais aussi du jeu qui se met en place avec le lecteur, forcé de réviser ses jugements trop hâtifs.  Wilkie Collins brouille les pistes, multiplie les masques, et maîtrise le suspense comme personne. Du grand art !

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Libretto, traduit par Emma Allouard, 19 septembre 2011, 910 pages 

Un commentaire sur “Armadale – William Wilkie Collins

Laisser un commentaire