Smile – Roddy Doyle

Voilà un roman qui fait effet d’uppercut, comme les Irlandais savent si bien le faire.

Victor vient de se séparer de sa femme, Rachel, une présentatrice star de la télévision. Il est retourné dans la banlieue dublinoise qui l’a vu grandir, s’installant dans un petit appartement moderne et sans charme, se glissant petit à petit dans une routine : dîner, écrire quelques lignes, et aller au pub. Un soir, il y croise un homme qui affirme le connaître. Bien qu’il ne se souvienne pas de lui, ce dénommé Fitzpatrick soutient qu’ils étaient ensemble au collège. C’est un homme bruyant, vulgaire et qui suscite chez Victor un malaise grandissant, sans qu’il ne parvienne, ni veuille réellement, s’en débarrasser.

« Nous avions dû nous connaître au collège. Mais je ne visualisais aucune version plus jeune de cet homme. Je ne l’aimais pas. Ça, je l’ai su immédiatement. »

La narration va alors alterner entre ces soirées au pub, et les souvenirs de Victor : ses années au collège tenu par les frères chrétiens, la mort prématurée de son père, sa difficulté à s’intégrer parmi ses camarades qui moquent la préférence marquée que lui témoignent ses professeurs. Mais aussi les souvenirs de sa vie avec Rachel, leur rencontre, leur amour fou, l’ascension fulgurante de sa femme tandis que lui ressassait l’idée d’écrire un livre sur l’Irlande, sans jamais aligner plus de quelques pages. Et plus on progresse dans le récit, plus on sent une dissonance. Certaines phrases sont curieusement tournées, certaines ellipses troublantes, et le lecteur aussi fasciné qu’incommodé n’a pas d’autre choix que de poursuivre dans les méandres de l’esprit et des souvenirs de ce narrateur confus, qui semble avoir oublié des pans entiers de son existence, que l’étrange Fitzpatrick essaie visiblement de réveiller.

« Nous nous sommes regardés.
– Ce n’était pas de ma faute, a-t-il dit. Ce n’était pas de notre faute.
– Non.
– Ce n’était pas de notre faute.
Je pleurais. Je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer. Et je ne peux toujours pas. »

Un excellent roman, déchirant et remarquablement mené, qui explore certaines blessures de la société irlandaise et les violences qu’elle a longtemps cherché à occulter. L’auteur maîtrise à la perfection la tension psychologique,  jusqu’à une chute aussi surprenante que douloureuse.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Joelle Losfeld, traduit par Christophe Mercier, 23 août 2018, 246 pages 

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