
Pensiez-vous pouvoir un jour être happé par une partie de pêche à la mouche ? En ouvrant ce récit d’une tendresse et d’une poésie infinies, ce sera pourtant le cas…
Dans ce récit autobiographique, Norman Mclean raconte sa famille et le Montana dans lequel il a grandi. Son père, pasteur presbytérien, qui accorde à la pêche la même importance qu’à son sacerdoce, et enseigne dès leur plus jeune âge à ses deux garçons cet art si délicat de la pêche à la mouche. Mais il raconte surtout le frère, Paul, ce cadet qui bientôt va dépasser l’aîné dans sa maîtrise de la canne, multipliant les exploits. Un frère solaire, bagarreur et irrésistible. Les années passent, Norman se marie et va vivre dans sa belle-famille, un peu plus loin, et devient accaparé par d’autres soucis. Pourtant il entend des rumeurs sur son frère, sur ses problèmes d’alcool et ses dettes de jeu. Timidement, il essaie de lui en parler, mais comment aider quelqu’un qu’on ne comprend pas ? Comment dire l’amour quand il nous dépasse ?
« C’est là, en attendant mon frère, que j’ai commencé à me raconter cette histoire. Pourtant, à l’époque, j’ignorais encore que les histoires vécues ressemblent plus souvent à des rivières qu’à des livres. Je savais une chose, c’est qu’une histoire avait commencé, il était une fois, dans la rumeur de l’eau. »
Ode à la nature, c’est surtout un roman sublime sur une relation fraternelle basée sur leur passion commune pour la pêche à la mouche, qu’ils ont élevée au rang de rituel, et de mode de communication. Éviter les grosses chaleurs, utiliser les bonnes mouches, faire attention à sa ligne, ne pas boire d’alcool avant la route du retour. Pour fuir leurs soucis et se soutenir l’un l’autre, à leur façon, ils organisent une partie de pêche, partent dans leur coin préféré au bord de la Black ?, surplombé par les Rocheuses. C’est là qu’ils sont le plus proches, même si leur bulle est parfois troublée par des perturbations extérieures, des indésirables qui ne comprennent pas la valeur sacrée de ce qui se joue sur le bord de la rivière. Mais si cela ne fait que renforcer leur connivence, cela ne facilite guère leur communication, empêtrés dans un dialogue tout en pudeur, qui devine tout mais n’ose pas. Le lecteur sent bien que quelque chose va mal tourner, et attend le coup de massue tandis que les parties de pêche se succèdent, donnant lieu à des digressions techniques qui sont étonnamment peu rébarbatives tant elles déploient de poésie et résonnent avec l’état d’esprit du narrateur.
Un récit bouleversant, tout en retenue et paradoxalement d’une intensité rare. À ne pas manquer pour retrouver les émotions du roman, l’adaptation cinématographique culte de Robert Redford.
Ma note (5 / 5)
Éditions Rivages, traduit par Marie-Claire Pasquier, janvier 2023, 192 pages
J’avais noté ce livre grâce à ta dernière sélection, ta chronique me confirme qu’il a tout pour me plaire !