
« Une société peut être heureuse tout en portant ses lésions internes ; le malheur vient après. »
Dans le Paris des années 20, une poignée de grandes familles, riches, puissantes et respectées, font la pluie et le beau temps, leur moindre décision entrainant des conséquences sur la myriade d’autres destins individuels avec qui elles partagent la ville. Parmi elles la famille de la Monnerie, avec à sa tête quatre frères, l’un poète, l’autre général, l’autre ministre plénipotentiaire. Quant au dernier, qui n’est qu’un demi-frère, Lucien Maublanc, c’est un vaurien qui dilapide sa fortune dans les tripots et chez qui l’humiliation et le sentiment de rejet entretiennent un sourd désir de revanche. Il y a aussi les Schoudler, quatre générations d’une illustre famille de banquiers d’ascendance autrichienne, possédant également un organe de presse et diverses industries florissantes. Depuis le mariage de François Schoudler et Jacqueline de la Monnerie, les ramifications entre les deux familles ne cessent de s’entremêler, formant lorsque leurs intérêts sont en jeu une immense machine de guerre.
« Tares héréditaires, amours néfastes, condamnations de jeunesse dont on ne se relève jamais, vices, lésions physiques, paresse, et puis la malchance à laquelle on ne sait pas quel autre nom donner ; l’écoulement de cette boue humaine, que le temps poussait lentement vers l’égout commun de la mort, demeurait l’un des seuls sujets d’intérêt du baron, et lui conservait le sentiment de sa propre importance. »
Autour d’eux gravitent ces gens de moindre importance, qui les courtisent pour nourrir leur ambition , tel Simon Lachaume, arriviste patenté, qui de disciple du poète, deviendra secrétaire particulier dans un ministère puis homme de main du patron dans un journal ; Madame Polant, qui accourt à la moindre catastrophe pour proposer ses services non sollicités ; ou encore la « petite Sylvaine » qui souhaite monter sur les planches et tente de surmonter son aversion envers Maublanc pour lui soutirer de l’argent.
« Tout, les civilisations, les cités, les sentiments, les arts, les lois et les armées, tout est enfant de la peur et de sa forme suprême, totale, la peur de la mort. »
Dans ce roman social couronné par le prix Goncourt en 1948, premier tome d’une fresque intitulée « La fin des hommes », Maurice Druon capture avec un cynisme mordant un instantané de la société parisienne de l’entre-deux guerres, un monde fracturé, dirigé par un élite bourgeoise et aristocrate, où règnent soif de pouvoir, orgueil et entre-soi. Le récit souligne avec cruauté la fracture sociale entre ceux n’ont fait que s’enrichir au sortir de la guerre, et la masse de miséreux toujours plus importante peuplant les hospices ou se bousculant devant le portail de leurs immenses demeures pour une bouchée de pain. Une plongée dans les arcanes du pouvoir et de la finance de l’époque, servie par une galerie de personnages particulièrement vivaces, bien que foncièrement assez peu aimables.
Ma note (3,5 / 5)
Éditions Livre de Poche, 1er novembre 1989, 384 pages