Vent d’Est, vent d’Ouest – Pearl Buck

Nous sommes dans la Chine des années 1920, et la jeune Kwei-Lan se confie sur son récent mariage. Fille d’une Première Épouse et d’un homme respecté, elle était fiancée avant même sa naissance, et n’a été élevée que dans le but de plaire à son futur mari. Sa mère en a fait une épouse soumise, aux pieds bandés, marquée au fer rouge par l’éducation rigide de l’ancienne Chine ainsi que ses croyances, et naturellement horrifiée par la décadence de l’Occident. Elle ne peut donc que voir comme une punition divine son union avec un Chinois revenu de plusieurs années à l’étranger, qui dédaigne les coutumes, ne revêt pas d’habits traditionnels, s’intéresse à la science (pour autant qu’elle comprenne le sens de ce concept), et entend faire de son épouse son égale. Désespérée, Kwei-Lan se résout à suivre les conseils de sa mère : puisqu’elle ne lui convient pas ainsi, elle se doit d’obéir en tout à son mari, y compris ses excentricités barbares. Un monde nouveau s’ouvre alors pour elle, à mesure que son époux entreprend de l’instruire et qu’elle en tombe amoureuse, tandis qu’elle perçoit le fossé de plus en plus grand opposant ancienne et nouvelle Chine. Un conflit générationnel qui va être d’autant plus incarné par le retour de son frère au bras d’une épouse étrangère, provoquant l’ire parentale.

« Je suis comme un pont fragile, reliant à travers l’infini le passé et le présent. Je serre la main maternelle. Je ne peux pas la laisser échapper, car sans moi ma mère serait seule. Mais mon mari tient les miennes, il les tient solidement. Je ne pourrai jamais laisser fuir l’amour. »

Pearl Buck, dont l’oeuvre fut couronnée par le prix Nobel de littérature en 1938, signe un beau roman tout en finesse porté par une narratrice touchante. Dans la Chine où a grandi Kwei-Lan, les chefs de famille multiplient les concubines, le premier fils a une place primordiale, les esclaves allaitent les bébés et font appel à la magie noire, les femmes sont cachées et diminuées, et l’on vit dans la crainte des dieux. Entièrement dévouée à ses parents qu’elle appelle les « Vénérés », Kwei-Lan va faire un saut dans le vide, dont la première étape sera de débander ses pieds, ce qui aura pour effet de décorseter petit à petit ses opinions et sa vision du monde, et lui ouvrir le coeur de son mari. Tiraillée entre son frère amoureux et ses parents, l’amour qu’elle porte à son mari et l’ouverture d’esprit qu’il va peu à peu lui apporter vont la conduire à davantage de tolérance envers l’Autre, l’Étranger et l’Occident dans son ensemble. Par le bais de la naïveté de Kwei-Lan et ses progressives découvertes, on apprend beaucoup sur la Chine et les croyances ayant encore court au début du XXe siècle.

« Sous toutes nos vies, derrière le voile, les dieux complotent. »

Un récit tout en contrastes qui souligne parfaitement la difficulté pour ces jeunes gens éduqués, séduits par les sirènes de l’Occident, de se faire une place dans un pays campé sur ses traditions afin de concilier respect de l’héritage et nécessaire modernité. Mon seul regret réside dans une certaine absence de nuances dans ce tableau d’une Chine traditionnelle présentée comme arriérée et quelque peu ridicule, tandis que la culture occidentale ne pourrait être qu’un apport hautement souhaitable, voire essentiel à l’épanouissement des nouvelles générations chinoises.

Ma note 3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

Éditions Livre de Poche, traduit par Germaine Delamain, 18 janvier 1972, 160 pages

4 commentaires sur “Vent d’Est, vent d’Ouest – Pearl Buck

    1. Ce n’est pas vraiment ça qui m’a dérangée, je lis beaucoup de romans qui se passent à une époque donnée et qui par définition peuvent sembler datés. C’est plutôt la vision très américano-centrée, à aucun moment j’ai trouvé que la culture chinoise était valorisée, elle est systématiquement dépréciée par rapport à une culture occidentale bien plus moderne et donc (??) forcément meilleure. Mais visiblement il n’y a pas cet aspect dans ses autres romans, c’était peut-être simplement une maladresse de primo romancière…

  1. Ah… Pearl Buck ! On m’a fait lire un de ses romans quand je devais avoir environ 15 ans (je ne me souviens pas du titre sauf d’un mot « Pavillon ») ; c’était en…~ 1972 et ce sont les femmes de ma famille (des ouvrières très peu scolarisées et auto-didactes) qui adoraient ses livres. J’ignorais qu’elle avait été nobélisée mais je trouve génial qu’elle ait passé autant de générations. Et si je la relisais ?

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