
« Alors que le vent expirait dans un cul-de-sac du canyon et que, dans son sillage, l’air devenait calme et immobile, les arbres continuaient de bouger. Ils frémissaient encore sous l’effet des rafales disparues, le murmure du deuil. Ils étaient tristes. Ils semblaient pleurer le souvenir du vent. »
Ce soir-là, Cotton, les frères Lally, Teft, Shecker et Goodenow sont allés se coucher sans bruit, sans chants, sans discussions, sans rires, sans derniers grignotages. Les six adolescents, partageant une cabane dans ce camp de vacances de l’Arizona, viennent d’être témoins d’une scène insoutenable, et nul n’a envie d’en parler. Résistant au sommeil et aux cauchemars, ils se donnent une dernière mission avant de quitter le camp définitivement trois jours plus tard, celle qui va faire d’eux des êtres différents, courageux et honorables. Le temps d’une nuit, ils vont échapper à la surveillance des moniteurs et prendre la route, déterminés à aller au bout, quel qu’en soit le prix.
« Nous naissons les mains souillées du sang des bisons. Dans notre préhistoire à tous apparaît la présence atavique de la bête. Elle broute les plaines de notre inconscient, elle piétine notre repos, et dans nos rêves nous crions notre damnation. Nous savons ce que nous avons fait, nous qui sommes un peuple violent. »
Récit initiatique paru en 1970, ce roman dessine les contours compliqués de l’adolescence et de ses enjeux. Ces six garçons, tous issus de riches familles, ont été envoyés dans ce camp d’été par des parents désireux de s’en débarrasser et de faire d’eux des durs à cuire, des vrais cow-boys. Très vite, ils deviennent la cible du harcèlement des autres pensionnaires : ce sont les Pisseux, un groupe hétéroclite composé de ceux qui se sont vus rejetés partout ailleurs, gringalet ou enrobé, sensible ou trouillard, faisant encore pipi au lit ou dormant avec un oreiller fétiche. Ils perdent toutes les compétitions, mais finissent peu à peu, en acceptant à leur tête Cotton, un chef déterminé à leur redonner confiance en eux, par accumuler quelques victoires, soudant leur amitié à tout jamais. Leurs personnalités et les origines de leurs fêlures sont éclairées à petites touches par le biais de flash-backs émaillant le récit de leur folle épopée, et on s’attache irrémédiablement à cette bande d’anti-héros.
« Pendant un instant, ou peut-être plusieurs, ce fut comme s’ils vivaient au commencement du monde, avant que n’existât la peur, le mal, ou la mort, aux temps de la création, alors que la terre était neuve et que toutes formes de vie naissaient dans ses entrailles, alors que l’univers était juste et que toutes formes de vie se côtoyaient en bonne intelligence. Pendant un instant, ou peut-être plusieurs, bêtes et enfants furent amis, par cette nuit pleine de douceur et de silence, dans ces champs respirant le calme et la beauté du Seigneur. »
On comprend sans peine comment ce roman a pu se faire une place parmi les classiques américains. S’inscrivant dans le courant du nature writing, ce road-movie sombre trace le parallèle entre l’innocence des enfants et des animaux, tous deux victimes de la cruauté des hommes. S’affranchissant de leurs traumatismes, avançant sur une confiance réciproque inébranlable, ces jeunes garçons vont grandir sous nos yeux, tout en conservant leur pureté d’âme.
Ma note (3 / 5)
Éditions Gallmeister, traduit par Gisèle Bernier, 2 février 2017, 176 pages
Je te remercie de me faire découvrir ce livre.
Pourquoi pas ? merci pour la découverte
Ce n’est clairement pas le genre de livre vers lequel je me serais spontanément dirigée, mais au final le résumé m’a donné envie de le découvrir. Du coup, je l’ai mit sur ma wishlist 🙂