Pique-nique à Hanging Rock – Joan Lindsay

Australie, 14 février 1900.  En ce jour de fin d’été au pensionnat Appleyard, les jeunes filles sont en effervescence : après les échanges de cartes de Saint Valentin et les commentaires sur les mousselines, elles s’apprêtent à partir pour l’aventure du jour : un pique-nique à Hanging Rock. Dix-neuf adolescentes enthousiastes profitent ainsi d’une journée au grand air, sous la surveillance étroite de deux maitresses d’école et du cocher. Tout se passe bien jusqu’à ce que les trois élèves les plus âgées, Miranda, Marion et Irma, décident de faire une promenade jusqu’au gigantesque massif rocheux. Elles n’en reviendront jamais, devenant l’incarnation du plus grand mystère qu’ait connu cette petite communauté, et donnant naissance à tout un enchainement de circonstances pour les personnes qui seront, de près ou de loin, concernées par cette disparition énigmatique.

« Bien que nous soyons nécessairement concernés, dans un récit d’événements, par l’action physique qui se déroule au grand jour, l’histoire donne à penser que l’esprit humain s’aventure bien plus loin dans les heures silencieuses, qui s’écoulent entre minuit et l’aube, ces fructueuses heures sombres rarement relatées, dont les secrètes floraisons engendrent la paix et la guerre, l’amour et la haine, le couronnement et la chute des rois. »

Peu à peu, ce qui débutait comme une charmante histoire victorienne mettant en scène de jeunes adolescentes aussi gaies que jolies, devient un thriller psychologique habile, confrontant chacun des personnages à ses démons intérieurs et à des choix cruciaux. À la suite de cet événement extraordinaire, c’est avant tout ses conséquences sur les destinées individuelles de différents personnages qui seront retracées dans ce roman. La disparition des trois jeunes filles, jolies et riches, va créer une gigantesque tapisserie dont les motifs ne cesseront de s’agrandir, touchant les existences des autres pensionnaires, de son personnel jusqu’à sa sévère directrice elle-même, mais aussi du jeune aristocrate voisin qui se mettra en tête de les retrouver, de son ami palefrenier, ou encore des policiers, cochers, médecins, bonnes qui verront leur fragile équilibre perturbé par ce drame en apparence sans aucun rapport avec eux. Le roman aborde par ailleurs avec finesse cette société en pleine mutation, où les codes sociaux et la place réservée aux femmes évoluent subtilement.

« Il entendit un bruit d’eau éclaboussée en provenance du lac, où une jeune fille en robe blanche se tenait sous un chêne auprès d’une coquille géante qui servait de baignoire aux oiseaux. Le visage était détourné, mais il la reconnut aussitôt au port de sa tête blonde inclinée, et il se mit à courir vers elle avec l’angoisse de la voir disparaître avant qu’il n’ait pu l’atteindre, comme cela se produisait toujours dans ses rêves troublés. Il était près de la rejoindre, quand ses jupes de mousseline se transformèrent en ailes frémissantes, celles d’un cygne blanc, attiré par l’éclat du jet d’eau. »

J’ai beaucoup aimé ce petit roman, dont le style est particulièrement réussi. Tantôt immensément poétique lorsqu’un jeune homme observe un majestueux cygne blanc s’envoler au-dessus de l’étang, parfaite évocation de son amour perdu ; tantôt versant dans le gothique le long des couloirs froids et lugubres du pensionnat, dans lesquels sa terrible directrice semble prête à tout pour assouvir ses frustrations. Nombre de questions resteront sans réponse, l’enquête s’effaçant devant cette atmosphère envoûtante, mélancolique, mystérieuse, onirique, versant presque dans le fantastique, et qui marque de son empreinte l’imagination du lecteur.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Livre de Poche, traduit par Marianne Véron, 11 mai 2016, 320 pages 

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