Des souris et des hommes – John Steinbeck

Lennie est inquiet : George est fâché contre lui et il n’est plus très sûr qu’il le laissera s’occuper des lapins dans la jolie maison qu’ils achèteront ensemble, le jour où ils auront un peu d’argent à eux. Ils ont dû s’enfuir du dernier ranch où ils travaillaient parce que Lennie avait encore fait une bêtise. Cette fois les gens ont failli le lyncher, pourtant il voulait simplement toucher la jolie robe, c’était si doux. Un peu comme le poil des souris mortes qu’il garde dans sa poche pour les caresser du doigt. Il aimerait mieux des lapins, mais ça c’est pour plus tard, George l’a promis. Pour le moment ils sont sur la route vers leur prochain travail, et Lennie se souvient de sa promesse : il ne doit pas parler, juste obéir. Il n’a pas tout compris, mais ce n’est pas grave, du moment que George le laisse s’occuper des lapins…

« J’ai vu des centaines de gars qui faisaient la route et débarquaient dans les ranchs avec leur balluchon sur l’épaule et ils avaient toujours ce même truc en tête. Des centaines, j’te dis. Ils débarquent, et puis ils laissent tomber et se barrent ; et tous ils ont un coin d’terre à eux dans un coin d’leur tête. Et pas un, jamais, ne finit par se l’payer. Un peu comme une place au paradis. Tout l’monde veut son coin d’terre à lui. Je lis tout un tas de bouquins. Personne va jamais au paradis, et personne a jamais son coin d’terre à lui. »

Lennie Small et George Milton sont ouvriers agricoles et sillonnent les routes de Californie à la recherche de quelques semaines de travail dans les champs en échange d’une poignée de dollars. L’un est un « doux colosse » candide et simple d’esprit, l’autre est petit et futé. Un improbable duo qui ne manque d’étonner ceux qu’ils croisent, la solitude et l’opportunisme étant généralement les maitres mots de leur profession. Mais ils se connaissent depuis longtemps, et George est déterminé à prendre soin de Lennie, quoi qu’il lui en coûte. Lorsqu’ils arrivent à Salinas, l’espoir renaît : peut-être que cette fois-ci c’est la bonne, s’ils font attention ils arriveront à mettre assez de côté pour s’acheter leur propre ranch et ne plus jamais dépendre d’un patron. Mais Lennie est imprévisible, malgré la surveillance assidue de George, et les habitants de ce ranch mettront à rude épreuve leur fragile équilibre, à commencer par la seule femme présente dans le domaine, qui s’ennuie et tente de séduire tous les hommes.

« On devient fou à force d’avoir personne. Peu importe qui c’est, tant que t’es avec quelqu’un. J’vais te dire un truc, s’écria-t-il. J’vais te dire qu’à force d’êt’ seul, on s’rend malade. »

Ce court roman réaliste, d’une puissance évocatrice inoubliable, est le récit cruel et tendre tout à la fois d’une improbable et magnifique amitié, ainsi qu’une mise en lumière de tous ces laissés pour compte de l’Amérique de la Grande Dépression, qui ne survivent que grâce à des rêves qu’ils n’atteindront jamais. La vision chimérique d’un futur petit paradis terrestre est répétée comme une litanie par George et Lenny, qui soupirent après une vie meilleure et espèrent encore avoir droit à leur rêve américain. Mais la société américaine, intolérante, inégalitaire et raciste broie les espoirs des hommes et la tragédie est en marche. Reste peut-être cette lueur d’humanité qui fait de ce roman un chef d’oeuvre éternel.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Gallimard, nouvelle traduction par Agnès Desarthe, 19 mai 2022, 144 pages

6 commentaires sur “Des souris et des hommes – John Steinbeck

  1. Un vif souvenir pour moi quand je l’ai lu par hasard quand j’avais quinze ans , et plusieurs fois je l’ai relu au cours de ma longue existence , et vu aussi des films … il y a des histoires touchantes comme celle ci qui restent inoubliables ..

  2. J’avais essayé de lire steinbeck il y a quelques années, mais vraiment je n’avais pas du tout apprécié son style « western », avec des personnages grossiers. L’auteur a un indéniable talent, mais je n’ai quand même pas accroché.

    1. Je comprends très bien, c’est un des aspects qui me plait le moins chez lui, même si je suis embarquée par l’histoire… As-tu essayé À l’est d’Eden ?

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