Haute société – Vita Sackville-West

« Elle était complètement, terriblement libre. »

À presque quarante ans, Evelyn Jarrold se dédie entièrement à son fils de dix-sept ans, Dan, étudiant à Eton, et à la vie de luxe et d’oisiveté que lui permet la famille de son mari, disparu pendant la Première guerre mondiale. Une famille issue de la haute bourgeoisie, avec laquelle elle a gardé des liens forts ; tous la respectent et admirent sa conduite irréprochable, d’autant plus qu’elle a toujours refusé de se remarier. Evelyn ne réalise pas qu’elle s’ennuie entre les rendez-vous chez les couturiers et les soirées mondaines qui se ressemblent toutes. Elle s’inquiète un peu pour Dan, qu’elle ne comprend pas réellement, surtout lorsqu’il rejette avec force son milieu et ses traditions, refusant la chasse, le cricket, et les conversations sans profondeur. Lorsqu’elle rencontre Miles Vane-Merrick, un jeune député réformiste prometteur de quinze ans son cadet, c’est la collision de deux mondes, et Evelyn en est transformée. Mais alors qu’ils entament une liaison passionnée, tout semble les séparer : Evelyn est obnubilée par les convenances et par sa réputation, terrifiée à l’idée que sa belle-famille apprenne sa liaison, alors que Miles est plus désinvolte et ne souhaite pas qu’une femme entrave ses ambitions politiques.

« Il était venu vers elle quasiment désemparé, solitaire, riche de son seul charme, sans passé, eût-on pu dire, alors qu’elle-même n’existait que grâce à son propre passé. À présent la situation se trouvait toute différente : elle entrait dans sa vie, et non plus l’inverse, et n’apportait avec elle aucun de ses repères. »

Dans ce roman qui dresse une merveilleuse étude de caractères ainsi que le portrait vivace et ironique d’une Angleterre à la croisée des chemins, se dessinent les contours d’un amour impossible. Evelyn et Miles peinent à vivre leur relation dans une société qui les considère comme mal assortis, d’autant qu’ils ne parviennent pas à faire cohabiter leurs profondes différences. Evelyn est une femme élégante, habituée à une vie confortable mais dans l’ensemble assez creuse, et son amour pour Miles devient très vite une obsession maladive, emplissant entièrement ses pensées et son existence, tandis qu’elle découvre la jalousie, envers les femmes qu’il fréquente, envers son travail et le livre qu’il est occupé à écrire, envers ses amis bohèmes, et finalement envers tout ce monde qui l’accapare et qu’elle ne parvient pas à véritablement pénétrer. Elle refuse ses propositions répétées de mariage, inquiète de leur différence d’âge, du jugement de la société et de celui de son fils, qui pourtant admire énormément cet aîné qui lui fait découvrir tant de sphères jusqu’à présent inaccessibles. J’ai beaucoup aimé le personnage d’Evelyn, sa lucidité sur le monde en perdition dans lequel elle évolue mais aussi sur son incapacité personnelle à changer drastiquement du tout au tout pour s’intégrer à celui de Miles, malgré la dévotion qu’il lui inspire.

« Elle avait une certaine expérience des hommes. La seule expérience qu’elle ne possédait pas était celle de son propre coeur, dont la violence pouvait à tout instant la trahir. »

Dans le cadre de cette société anglaise des années 30 en pleine mutation de ses valeurs, de ses structures familiales et économiques, le roman explore avec finesse cette relation sentimentale entre la conventionnelle Evelyn et l’idéaliste Miles, dont on se doute qu’elle risque de tourner court.  C’est somme toute assez triste mais magnifiquement écrit, le récit d’un amour à l’épreuve d’une haute société sur le déclin.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Livre de Poche, traduit par Bernard Delvaille, 14 avril 2010, 352 pages

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