
Avez-vous entendu parler de la célèbre hospitalité irlandaise ? Pourquoi ne pas vous laisser tenter par un séjour au magnifique domaine de Ballyroden ? Les hôtes sont accueillants, si l’on excepte le rationnement en chauffage, en biscuits et en amabilité !
« Ils échangèrent ce regard désespéré, et pourtant à la vie à la mort, de deux enfants surpris en plein méfait. Ils étaient dans le crime jusqu’au cou. Ils avaient mangé toutes les fraises. Ils avaient inondé la maison de la salle de bains à la cave. Ils avaient laissé les boeufs entrer dans le jardin. Ils avaient mis le feu au grenier à foin. Rien ne pourrait les sauver. »
Les Ryall sont une ancienne famille de nobles irlandais, de celles qui se sont retrouvées désargentées et contraintes pour survivre à vendre leurs immenses domaines ou bien à supporter l’afflux financier venu d’Angleterre. En décédant, le patriarche lègue à son fils Philip, jeune homme de vingt-cinq ans tout juste rentré de la guerre, un amoncellement de dettes à rembourser d’urgence. Mais pour cela, il va falloir sérieusement revoir leur train de vie, et le voilà contraint de faire la morale à ses oncle et tante, Consuelo et Hercules, enfants gâtés dépensiers et égoïstes, qui refusent de renoncer aux courses, aux paris, aux voitures et au champagne. Quant à la tante Anna Rose, quoiqu’adorée de tous, elle est bien inutile, perdue dans son monde imaginaire, persuadée de courir le Monde en train, cargo ou avion, marmottant sur un traumatisme de jeunesse et sur ses rubis perdus, qui se seraient pourtant révélés à présent fort utiles.
« Qui était-il pour penser faire naitre une fortune à partir de rien ? Tout avait été respiré avant lui, tout avait été dépensé, consommé avec gourmandise, perdu : il n’y avait rien à récupérer. Il avait une conscience brutale de son impuissance, amant fatigué d’une grande beauté exigeante. Il aspirait à quelque chose de simple, petit, doux et facile à satisfaire. Une chose dont il pourrait faire le tour. »
Sir Philip, aidé de sa cousine Veronica qui en est amoureuse, décide de retrousser ses manches et de tout faire pour sauver ses terres et le château familial, qui croule sous les fuites et les trous dans la charpente. Le château deviendra une maison d’hôtes, et les premiers arrivés feront les frais de cette décision inédite, car Consuelo et Hercules, secondés par les domestiques, ont décidé de faire de la résistance. Ces Anglais, tout fortunés qu’ils soient, n’ont qu’à bien se tenir ! Il s’agit d’Eustace, accompagné de sa soeur Dorothy et de sa nièce, Yvonne. Tandis que cette dernière jette immédiatement son dévolu sur le propriétaire des lieux, au grand dam de Veronica, Dorothy peste contre l’inconfort de la demeure et les multiples affronts subis de la part de ces vieux gripsous privés d’argent de poche. Eustace seul se prend de tendresse pour Anna Rose et s’amuse comme un fou en observant le vaudeville qui se joue entre ces murs humides.
« Elle avait vieilli dans son monde imaginaire, tout en demeurant en phase avec son temps. Elle n’avait rien de l’ombre de cet enfant-fiancée désespérée qu’elle avait fuie. Elle était séduisante, grotesque, amusante, moqueuse, adorable, la dame que vous vouliez qu’elle soit. Et elle était portée, soutenue, isolée par l’air et le souffle de la beauté. Cela exaltait injustement chaque petite action, amplifiait et rehaussait tout ce qu’elle faisait. Exagérait tout ce qu’elle était. »
Que j’ai ri en dégustant ce roman de la géniale romancière irlandaise Molly Keane ! On y retrouve sa plume acérée et caustique, ses personnages hauts en couleur et ces situations frisant l’absurde. Ce roman totalement loufoque forme une satire sociale aussi tendre que cruelle, et égratigne tout autant cette vieille noblesse irlandaise qui s’agrippe désespérément à ses traditions que ces nouveaux riches snobs qui jouent aux fermiers le temps de leurs vacances… C’est tout simplement drôle à souhait et savoureux !
Ma note (4,5 / 5)
Éditions de la Table Ronde, traduit par Cécile Arnaud, 21 avril 2022, 368 pages
Je ne connais pas cette autrice et tu me donnes envie de la découvrir notamment avec ce titre 🙂
Merci pour la découverte ! bonne journée