Laissez-moi – Marcelle Sauvageot

« Je t’envoie un baiser dans l’air. Si tu m’aimes, je guérirai. »

Malade, une jeune femme quitte Paris pour se rendre dans un sanatorium, laissant derrière elle l’homme qu’elle aime, et l’espoir qu’il attendra son retour. Un jour, une lettre lui parvient : « Je me marie… Notre amitié demeure… » Le choc est immense, la souffrance insupportable ; son esprit vacille, tandis que son corps faiblit. Et pourtant, tout en dignité et force, elle va s’adonner à une véritable exégèse des écrits de son amant perdu, analysant chaque phrase, chaque demande, chaque reproche sous-tendu, et livrant sa conception du véritable amour : absolu, infini, irrationnel, et surtout, égalitaire.

« Je n’aime pas vos consolations, je n’aime pas vos souhaits, je n’aime pas que vous m’imaginiez malheureuse et que des mots dans une lettre s’efforcent avec ardeur de prouver que vous connaissez mon mal et que vous vous sentez près de moi. Vous ne savez plus ce que c’est qu’être près de moi. »

De son titre initial « Commentaire », ce court écrit épistolaire publié en 1933 frappe par son émotion, son authenticité et sa justesse. Incapable de supporter les mots écrits par celui qu’elle aimait plus que tout, elle ne peut s’empêcher de livrer sa vérité, de revenir sur leur histoire, sur les différences entre les hommes et les femmes, et ce qui est attendu de chacun dans une relation sentimentale. Cette lettre est une désillusion car elle marque tout ce sur quoi elle s’était fourvoyée dans leur relation. En perdant son amant, elle perd son double, son confident, son meilleur ami, quoiqu’elle ait de l’amitié une acception bien différente que celle induite par l’offre insultante qui lui est faite par cet homme fat et égoïste. Avec pudeur, elle analyse également ses propres faiblesses, ses difficultés à poser des mots sur ses sentiments, ses erreurs ayant pu causer des malentendus. Marcelle Sauvageot manie l’ironie, l’insolence, et surtout les mots, pour confronter sa vision de l’amour à celle de l’autre, pour dénoncer l’inconséquence de ces amants qui choisissent leurs amantes pour leur indépendance mais leur préfèrent des épouses soumises. L’homme tant adulé choit de son piédestal tandis qu’elle relève la tête avec fierté. Le féminisme latent dans ce texte donne à ses propos une force inédite : loin d’être un cri de désespoir victimaire, c’est au contraire un plaidoyer puissant pour un amour sans compromis. Les mots de Marcelle Sauvageot, emportée par la tuberculose peu après la publication de ce texte, accèdent ici à une universalité poignante.

« Ne croyez pas que m’offrir l’amitié pour remplacer l’amour puisse m’être un baume ; c’en sera peut-être un, quand je n’aurai plus mal. Mais j’ai mal ; et quand j’ai mal, je m’éloigne sans retourner la tête. Ne me demandez pas de vous regarder par-dessus l’épaule et ne m’accompagnez pas de loin. Laissez-moi. »

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Libretto, 3 mars 2022, 112 pages

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