Mauprat – George Sand

« Nous étions deux caractères d’exception, il nous fallait des amours héroïques ; les choses ordinaires nous eussent rendus méchants l’un et l’autre. »

Le nom des Mauprat est tristement célèbre dans le Berry, qui se souvient encore avec horreur de leurs exactions. Orphelin, Bernard de Mauprat est recueilli à 7 ans par un grand-père tyrannique et ses oncles, qui l’élèvent dans la violence, la dépravation et le crime dans une demeure gothique lugubre et délabrée, le Château de la Roche-Mauprat. Endurci par les mauvais traitements, masquant son dégoût derrière une apparence de complicité, Bernard étouffe son humanité par peur de ne pas survivre à l’immoralité de ses oncles. Lors d’une soirée terrible, il fait la connaissance de sa cousine Edmée, issue de la branche cadette des Mauprat, enlevée lors d’une partie de chasse et soumise aux pires menaces. Il l’aide à s’enfuir, et se réfugie avec elle chez son père, le chevalier Hubert de Mauprat, respecté et juste, qui décide de l’accueillir comme son propre fils. Entièrement mû par son amour débordant pour Edmée, Bernard entreprend de s’éduquer, comprenant qu’elle ne consentira jamais à se marier avec un sauvage. Redoublant d’efforts, il s’instruit, corrige ses manières, adopte les idées rousseauistes, et entreprend de changer son destin. Mais le chemin est semé d’embûches, et le sang violent des Mauprat ne peut toujours s’étouffer.

« Il est certain que, pour passer d’un état de l’âme à un état opposé, même du mal au bien, même de la douleur à la jouissance et de la fatigue au repose, il faut que l’homme souffre, et que, dans cet enfantement d’une nouvelle destinée, tous les ressorts de son être se tendent jusqu’à se briser. Ainsi à l’approche de l’été, le ciel se couvre de sombres nuées, et la terre frémissante semble prête à s’anéantir sous les coups de la tempête. »

Quelle richesse dans ce roman, qui aborde nombre de thématiques et d’angles différents. C’est tout à la fois un roman d’aventures, un roman initiatique, un conte philosophique baigné des idées des Lumières et de Rousseau en particulier, un roman gothique, une histoire d’amour, et un plaidoyer féministe indéniable, même si le personnage d’Edmée se drapant dans ses vertus m’a semblé parfois un peu agaçant. J’ai bien davantage apprécié la complexité de Bernard, qui m’a parfois fait penser à celui que sera Heathcliff dix ans plus tard, porté lui aussi par l’amour d’une femme mais sans le bénéfice qu’aurait pu lui apporter une éducation soignée. Le récit se situe dans la période précédant la Révolution, et est imprégné de ce fait d’une critique de l’hypocrisie du clergé ainsi que de l’arbitraire de la noblesse. C’est surtout un remarquable manifeste pour l’éducation, dont le roman souligne les avantages mais également les quelques inconvénients ; ainsi que pour l’égalité, aussi bien entre les classes qu’entre les sexes.

« Sachez donc distinguer l’amour du désir ; le désir veut détruire les obstacles qui l’attirent, et il meurt sur les débris d’une vertu vaincue ; l’amour veut vivre, et, pour cela, il veut voir l’objet de son culte longtemps défendu par cette muraille de diamant dont la force et l’éclat font la valeur et la beauté. »

J’ai beaucoup aimé ce déploiement du romanesque, cette plongée épique dans un XVIIIe siècle chargé de contradictions, ces personnages, tels Patience et Marcasse, profondément attachants, ces descriptions splendides de la nature, de ses forêts et de ses ruines, et enfin la plume de George Sand, tout en sensibilité et en finesse, qui signe un roman éblouissant, empreint de passion, de rédemption et de rebondissements.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions du Livre de Poche, 27 janvier 2021, 544 pages

Un commentaire sur “Mauprat – George Sand

  1. Moi qui veut découvrir un jour George Sand, je commencerai peut-être par ce livre-là 🙂
    Merci pour cette belle chronique, bonne journée !

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