Cette nuit, je l’ai vue – Drago Jančar

« Cette nuit, je l’ai vue comme si elle était vivante. »

Je dois avouer que je suis bien loin d’être une spécialiste de la littérature slovène, et ce roman m’a frappée d’abord par ce titre et cette couverture si poétiques, qui laissent présager l’auréole de mystère qui entoure la femme dont il va être question dans ces pages. Veronika Zarnik fait partie de ces femmes inoubliables, qui laissent une trace sur leur passage tant leur personnalité frappe ceux qui les rencontrent. Une nuit de janvier 1944, elle a disparu en compagnie de son mari et personne ne semble savoir ce qu’il leur est arrivé. Sont-ils morts ? Sont-ils cachés ? Tour à tour cinq personnages vont se plonger dans leurs souvenirs et raconter, par fragments, ce qu’ils savaient de cette femme insaisissable et sensuelle, afin que petit à petit les pièces du puzzle se mettent en place et que l’on comprenne le terrible engrenage qui a conduit à sa disparition.

« Le voile de l’oubli s’étend lentement sur le passé et sur mes souvenirs. »

D’abord ce sera Stevan, un officier serbe qui lui a appris à monter à cheval, et avec qui elle a eu une liaison passionnée. Puis sa mère, qui attend désespérément de ses nouvelles, sa gouvernante dévouée Jozi, son ami médecin dans la Werhmacht, et enfin Jeranek, ancien paysan devenu révolutionnaire. Les perspectives diffèrent, esquissant peu à peu son portrait, celui d’une femme refusant de se laisser emprisonner dans un quelconque carcan, offrant sa bonté indifféremment, préférant la compagnie des chevaux et de la nature. Sensible, elle voulait à tout prix échapper à la guerre et sa boucherie, pourtant elle y sera entrainée malgré elle. À mesure que l’on découvre Veronika, on en apprend aussi sur nos personnages et sur leur rôle dans le conflit. Il y a ainsi une curieuse alternance de ton, entre la légèreté et l’insouciance de Veronica, qui confinent à l’imprudence, et des descriptions assez crues des atrocités de la guerre. C’est précisément ce délicat équilibre qui en fait un roman poignant. On se prend d’affection pour cette femme, mais aussi pour ce pan d’histoire complexe de la Slovénie.

« On vit une époque où on ne respecte que les gens, vivants ou morts, qui étaient prêts à se battre, même à se sacrifier pour les idées qu’ils ont en partage. C’est ce que pensent les vainqueurs et les vaincus. Personne n’apprécie les gens qui ne voulaient que vivre. »

La construction polyphonique sert merveilleusement le lent cheminement du lecteur vers la reconstitution de la vérité, même si l’uniformité de style narratif lorsqu’on passe d’un personnage à l’autre, alors même qu’ils sont d’origines, sociales et culturelles, très différentes, est un peu dommage. Mais ce sera mon unique regret pour ce roman teintée de poésie, de tristesse et de mystère, qui retrace magnifiquement le destin de des hommes et femmes plongés dans l’absurdité de la guerre.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Phébus, traduit par Andrée Lück-Gaye, 9 janvier 2014, 224 pages

Laisser un commentaire